Entretien avec le politologue Stéphane Rozès, auteur de Chaos, essai sur les imaginaires des peuples
Causeur. Alors, que pensez-vous de cette déflagration qu’a été dès le soir des européennes l’annonce de ces législatives de dissolution ?
Stéphane Rozès. Cet apparent coup de tonnerre vient d’assez loin. La décision de la part du président Macron de dissoudre, provient sans doute d’une blessure narcissique, mais pas seulement. Le président s’attendait aussi à des admonestions de l’UE sur l’état de nos comptes et avait également la volonté d’écarter le spectre d’une motion de censure LR-RN-LFI à la rentrée lors du vote du Budget. C’est une stratégie destinée à épuiser le RN à Matignon en cas de cohabitation. Cela, de sorte que Marine Le Pen ne l’emporte pas à la présidentielle…
En tout état de cause, est remonté des profondeurs du pays un désaveu d’Emmanuel Macron datant de la présidentielle de 2022 et qui recompose le paysage politique de façon accélérée. La présidentielle ne s’est pas déroulée dans le rite habituel du déploiement d’une dispute politique commune permettant de réactiver l’imaginaire français et de nouer un lien fort et légitime entre le président et les Français. De sorte que dès les législatives de 2022, le président Macron n’a pas pu dire au pays : donnez-moi les moyens de mettre en œuvre le projet, le contrat que nous avons passé ensemble. Il n’y en avait pas. Emmanuel Macron avait abusé de la peur de la pandémie et de la guerre en Ukraine pour être élu comme par évidence. Il n’a pas mené campagne et il n’a pas eu de majorité au Parlement. Cela a transformé le parlement en foire d’empoigne, attisée par la stratégie de la tension que met en œuvre Jean-Luc Mélenchon. Sans légitimité politique, le président a recouru au 49.3 lors de la réforme des retraites contre la nation et les partenaires sociaux.
Dans le même temps, le quotidien des Français sur ce qu’il advient (la baisse du pouvoir d’achat, la hausse de l’immigration, de l’insécurité, le retrait et dégradation des services publics, la guerre en Ukraine, l’importation du conflit israélo-palestinien, le communautarisme et l’antisémitisme) les met dans un état de sidération et remet de façon encore plus vigoureuse qu’auparavant la question de la maîtrise de notre
