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« Visagate »: le Royaume Uni et le scandale des réfugiés ukrainiens

Quand le malheur des uns fait le bonheur des autres...


« Visagate »: le Royaume Uni et le scandale des réfugiés ukrainiens
Des femmes et des enfants ukrainiens, à Varsovie, s'apprêtent à prendre l'avion pour rejoindre l'Angleterre, le 21 mars 2022 © Pawel Kuczynski/AP/SIPA

Au moment où Boris Johnson multiplie les déclarations de soutien à l’Ukraine dans la tourmente, un nouveau scandale vient entacher la réputation de son gouvernement : une entreprise privée, à laquelle le ministère de l’Intérieur a sous-traité la gestion des visas, chercherait à exploiter les réfugiés en leur proposant des services accélérés payants [1].


Aux heures sombres de la matinée, Marioupol en flammes ressemblait à l’enfer sans couvercle. Des photos aériennes ont montré une ville pulvérisée au point d’être méconnaissable. Victime gémissante et ensanglantée, la pauvre Marioupol subit de plein fouet la furie brutale de la Russie, alors qu’elle s’apprête à entrer dans sa troisième semaine de bombardements.

À Kiev, la moitié des 3,5 millions d’habitants est portée disparue, sur le long chemin vers une autre vie. Les Ukrainiens s’attendent au pire, tandis que les soldats russes cherchent à atteindre les objectifs fixés par leur président, en dépit des nombreux problèmes techniques et logistiques rencontrés sur le terrain.

Dans le sud, des chiens sauvages errent parmi des cadavres éparpillés dans le centre de Mykolaiv, alors que la bataille pour la mer Noire s’engage. Partout, les gens fuient, laissant principalement leurs hommes pour lutter contre le despotisme. Plus de dix millions d’Ukrainiens sont désormais des réfugiés, à l’intérieur du pays ou à l’étranger.

Business as usual: les affaires sont les affaires

Pendant ce temps, à Londres, le ministère de l’Intérieur fait appel à une société privée pour traiter les demandes de visa. TLSContact, filiale du groupe français Teleperformance, ferait payer les réfugiés pour ses services. Cette société a obtenu un contrat de 100 millions de livres sterling pour gérer les centres de visas en Europe. Elle demande 38 euros pour photocopier des documents et 80 euros pour obtenir un rendez-vous en dehors des heures d’ouverture. En outre, le ministère de l’Intérieur semble proposer ses propres services payants, qui comprennent un forfait de 712.80 euros pour accélérer une demande.

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Il y a également des « frais de rendez-vous » si tous les membres de la famille souhaitent être vus ensemble. La ministre de l’Intérieur, Priti Patel, doit maintenant répondre aux questions de la Commission des affaires intérieures sur les révélations du site OpenDemocracy. OpenDemocracy, une plateforme médiatique indépendante basée au Royaume-Uni qui cherche à « défier le pouvoir et à encourager le débat démocratique » dans le monde entier, dispose de preuves tangibles que la société a soutiré de l’argent aux personnes démunies et que la ministre de l’Intérieur a été avertie de ses méthodes.

Il a été affirmé au Parlement britannique que le centre de visa de TLSContact à Rzeszow, en Pologne, avait refusé des demandeurs qui avaient fait la queue pendant des heures dans des températures glaciales, en disant qu’il n’avait pas de créneaux disponibles avant la fin d’avril. « La secrétaire d’État peut-elle me dire pourquoi cette société est autorisée à profiter de la souffrance et de la misère des Ukrainiens en leur offrant la possibilité, s’ils effectuent des paiements supplémentaires, de voir leur dossier accéléré, et d’obtenir des rendez-vous plus rapidement ? » a demandé la députée travailliste, Diana Johnson, qui est la présidente de la Commission des affaires intérieures.

La ministre de l’intérieur du Royaume-Uni face aux preuves qui s’accumulent

Mme Patel a nié que les Ukrainiens aient été invités à payer, répondant : « En ce qui concerne les individus ukrainiens, les ressortissants familiaux, les ressortissants ukrainiens qui viennent au Royaume-Uni pour être réunis avec leur famille, c’est un service gratuit. Il n’y a aucun frais d’aucune sorte. » Mais OpenDemocracy prétend pouvoir prouver que certaines personnes qui ont demandé des rendez-vous pour des visas au nom de leur famille ou de leurs amis ukrainiens par le biais de TLSContact au cours de la semaine dernière se sont effectivement vu proposer des services payants.

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« Priti Patel ne raconte que des conneries » témoigne Helen Howard-Betts, qui a essayé d’obtenir un rendez-vous dans un centre de visa à Bucarest pour son ami ukrainien, qui est actuellement près de Lviv. Elle n’a pas pu prendre le moindre rendez-vous sur le site Internet et lorsqu’elle a essayé de contacter le ministère de l’Intérieur pour obtenir de l’aide, on lui a dit qu’elle devrait payer £2,74 pour envoyer un e-mail à l’équipe d’assistance. Un autre Britannique, Wes Gleeson, qui a fui Kiev avec sa famille a déclaré à OpenDemocracy que l’expérience de la demande de visa via le site web de TLSContact pour sa femme et sa belle-sœur ukrainiennes ressemblait à « essayer de réserver un vol avec une compagnie aérienne à bas prix […] Ils nous ont dit : « Voulez-vous dépenser 200 livres de plus ? »

Après des jours de critiques croissantes sur la politique de visas du gouvernement pour les Ukrainiens, y compris de la part de ses propres députés, la ministre de l’Intérieur a finalement annoncé, dans une déclaration à la Chambre des communes le 10 mars, que certaines exigences seraient assouplies.

La ministre de l’Intérieur, Priti Patel, prend la parole à la Chambre des Communes, le 10 mars 2022.

« Une autre voie destinée aux Ukrainiens qui n’ont pas de famille au Royaume-Uni n’a pas encore été établie. Certains Ukrainiens qui ont fui le pays et n’ont pas de famille au Royaume-Uni ont été contraints de payer près de 400€ pour un visa de visiteur accéléré afin de pouvoir rejoindre des amis déjà au Royaume-Uni », explique OpenDemocracy. La députée travailliste, Diana Johnson, a salué ces changements mais s’est déclarée préoccupée par la possibilité que le sous-traitant privé du ministère de l’Intérieur, TLSContact, puisse continuer à proposer aux réfugiés des services accélérés en échange d’un paiement supplémentaire, cherchant ainsi à profiter de leur vulnérabilité.

Priti Patel est l’enfant de parents indiens gujaratis qui ont fui l’Ouganda pour se réfugier au Royaume-Uni juste avant la décision d’Idi Amin de déporter tous les Asiatiques. Mme Patel est très admirative de Margaret Thatcher comme son père, Sushil, qui a créé une chaîne de maisons de la presse et qui a représenté l’Ukip lors des élections municipales. Connue pour son image de femme dure, Priti Patel voit ses compétences de plus en plus mises en cause aujourd’hui. Ceux qui en font les frais sont les réfugiés qui émergent des décombres de l’Ukraine.

[1] « Une première version de ce texte a paru en anglais sur le site de l’Association of European Journalists »




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