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Le Royaume Uni enfin sorti du «bourbier» du Brexit ?

Notre Britannique préféré, Jeremy Stubbs, nous dévoile tout du nouveau Protocole sur l’Irlande du Nord...


Le Royaume Uni enfin sorti du «bourbier» du Brexit ?
La présidente de la Commission européennée Ursula von der Leyen reçue par le roi Charles III, Windsor, 27 février 2023 © Aaron Chown/WPA Pool/Shutterstoc/SIPA

Le nouveau Protocole sur l’Irlande du Nord annoncé cette semaine dans la ville royale de Windsor mettra-t-il fin aux tensions qui, depuis 2016, perturbent les relations entre l’UE et le Royaume Uni ? Permettra-t-il aux partis politiques nord-irlandais de sortir de l’impasse qui paralyse leurs institutions gouvernementales ? Nous autorise-t-il à dire que le Brexit est enfin terminé ?


Lundi 27 février, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, ont annoncé avec grande pompe être arrivés, d’un commun accord, à un remaniement du « Protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord ». Ce résultat intervient après des négociations, parfois houleuses, qui duraient depuis que le Royaume Uni avait quitté l’UE à la fin du mois de janvier 2020. D’ailleurs, le destin de l’Irlande du Nord et de la frontière terrestre entre le nord et le sud posait un problème dès le début des pourparlers sur le Brexit en 2017. Aujourd’hui, quatre questions se posent :

L’UE, quoique toujours soucieuse de préserver l’intégrité du marché unique, semble avoir fait des concessions…

Pourquoi cette nouvelle version du protocole est-elle nécessaire ? Quels en sont les principes ? Comment les deux partis sont-ils enfin arrivés à un nouvel accord ? Et enfin, le nouveau protocole sera-t-il apte à résoudre les différents problèmes provoqués par le Brexit ?

Mon royaume pour un protocole !

Rappelons brièvement les enjeux. Signés en 1998, les fameux Accords du vendredi saint – car il y en a deux : l’un entre la plupart des partis politiques nord-irlandais et l’autre entre le Royaume Uni et la république d’Irlande – ont mis plus ou moins fin à l’ère des troubles en garantissant, entre autres choses, l’invisibilisation relative de la frontière nord/sud. Cette invisibilisation était possible grâce au fait que les deux territoires faisaient partie du marché unique de l’UE et que des contrôles douaniers n’étaient pas nécessaires. Désormais, les deux camps en Irlande du Nord – celui des nationalistes et celui des unionistes – pouvaient garder leurs perceptions opposées des choses. Les nationalistes avaient l’impression de vivre dans une Irlande presque réunifiée, tandis que les unionistes avaient celle de vivre dans un Royaume toujours Uni. Le Brexit a mis en danger cet équilibre délicat en menaçant de rétablir une frontière douanière entre les deux Irlande.

On se souviendra que Theresa May a fait une vaine tentative pour réaliser la quadrature de ce cercle avec son fameux « back stop », un serpent de mer éphémère bien oublié aujourd’hui. Boris Johnson a créé l’illusion d’une résolution de l’imbroglio à travers son « Protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord » qui fait partie de l’« Accord sur le retrait » signé en décembre 2019. Ce Protocole maintient l’Irlande du Nord dans le marché unique de l’UE et en même temps l’installe dans une union douanière avec la Grande Bretagne. Le problème, c’est qu’il dessine une frontière douanière entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume Uni. L’invisibilisation, chère aux nationalistes, de la frontière nord/sud est préservée, tandis qu’une nouvelle frontière est/ouest devient visible, au grand dam des unionistes qui se prétendent floués.

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Une renégociation du Protocole était donc nécessaire afin d’atteindre les objectifs suivants.

  • Dans la mesure du possible, invisibiliser la frontière est/ouest en rendant beaucoup plus fluide le passage des biens entre le Royaume Uni et l’Irlande du Nord.
  • Rétablir le partage des pouvoirs en Irlande du Nord entre les nationalistes et les unionistes, partage garanti par les Accords du Vendredi saint et l’Accord de Saint-Andrews de 2006.
  • Mettre enfin un terme aux négociations sur le Brexit et améliorer les relations entre le Royaume Uni, d’un côté, et de l’autre, l’UE, la France et les Etats-Unis.

Aux dernières élections à l’Assemblée d’Irlande du Nord, le parti nationaliste, Sinn Féin, a eu le plus d’élus, lui donnant le droit de former un gouvernement exécutif et de désigner le Premier ministre. Mais à condition que le plus grand parti unioniste, en l’occurrence le Parti unioniste démocrate (DUP), y participe. Or, ce parti refuse obstinément de donner son accord afin d’exprimer son hostilité au Protocole et à la frontière douanière est/ouest.

En même temps, la difficulté des négociations sur le Protocole a prolongé les tensions qui avaient caractérisé les négociations sur le Brexit, tensions particulièrement exacerbées entre le Royaume Uni et la France – et sur le plan personnel, entre Boris Johnson et Emmanuel Macron. Outre-Atlantique, le président Biden, faisant grand cas de ses racines irlandaises et désireux de choyer ses électeurs irlando-américains, voyait d’un très mauvais œil les difficultés créées en Irlande par la non-résolution du problème. Par conséquent, une note discordante s’était fait entendre dans les relations normalement cordiales entre les Etats-Unis et le Royaume Uni.

Ainsi, une renégociation réussie trancherait d’un seul coup plusieurs nœuds gordiens.

Un vieux protocole dans une nouvelle bouteille ?

Le résultat des négociations est surnommé « le cadre de Windsor » (« the Windsor Framework ») d’après le nom de la ville où Sunak et von der Leyen ont fait leur annonce. La nouvelle version du Protocole est-elle si différente de la première ? Les objections à celle-ci formulées par les unionistes tournaient surtout autour des contrôles douaniers bureautiques et coûteux imposés aux biens traversant la Mer d’Irlande d’est en ouest, et du rôle joué par la Cour de justice européenne dans la gestion des normes et réglementations appliquées sur le territoire nord-irlandais.

À cet égard, l’UE, quoique toujours soucieuse de préserver l’intégrité du marché unique, semble avoir fait des concessions. Concernant les contrôles douaniers, on propose des couloirs « verts » pour les biens destinés à rester en Irlande du Nord et « rouges » pour ceux destinés à finir dans la république et donc dans le marché unique. Les biens passant par les couloirs verts ne seraient pas normalement sujets à des contrôles physiques. Il reste deux bémols du point de vue unioniste : pour pouvoir exploiter le couloir vert, il faudrait avoir l’agrément officiel de « commerçant de confiance » (plus ou moins l’équivalent d’« Opérateur économique agréé » dans la législation française), et les vérifications ne disparaîtraient pas complètement.

Quant à la capacité de la Cour de justice européenne à intervenir dans les affaires de l’Irlande du Nord, elle serait réduite, mais toujours réelle. En revanche, si la TVA européenne continue à s’appliquer en Irlande du Nord, ce sera avec des assouplissements pour reconnaître l’appartenance de la province au Royaume Uni.

La concession apparemment la plus spectaculaire de l’UE s’appelle « le frein Stormont » (« the Stormont Brake »), d’après le nom de l’Assemblée nord-irlandaise). Si au moins 30 (un tiers) des députés de l’Assemblée, appartenant à au moins deux partis politiques, soutiennent une proposition contestant une nouvelle règle adoptée par le marché unique, le gouvernement britannique aura le droit d’opposer un véto à son application en Irlande du Nord. Ce véto ne pourrait être invoqué que dans des circonstances exceptionnelles et si la nouvelle règle européenne créait une situation ingérable dans la province. Si la suspension de la règle se révélait permanente, l’UE aurait le droit de prendre les mesures correctives qu’elle voudrait. Selon certains commentateurs, elle pourrait imposer des amendes considérables au gouvernement britannique en compensation des pertes commerciales. À l’heure actuelle, les tenants et aboutissants de ce « frein Stormont » restent assez vagues.

Un comptable a essayé d’expliquer l’opération du « frein Stormont » par un diagramme

Le bras de fer des faibles

 Certains pourraient être tentés de remarquer que ces concessions (si elles se révèlent être de véritables concessions) auraient pu être octroyées par l’UE il y a longtemps. Qu’est-ce qui a changé récemment ? Comme l’a dit Ursula von der Leyen, il y a un nouvel esprit de coopération face à la guerre en Ukraine et à un certain nombre de problèmes économiques communs. D’une importance au moins égale, il y a le fait que, lors des négociations sur le Brexit, l’UE avait l’avantage : la confusion qui régnait au sein de la classe politique britannique rendait désespérée la recherche par le Royaume Uni d’un accord de retrait. Depuis, cet accord a été trouvé en principe et la confusion s’est bien dissipée. En revanche, le désespoir est du côté irlandais – nord et sud – car il faut remettre en œuvre le partage des pouvoirs exécutifs prévus par les différents Accords. C’est seulement de cette manière que la province peut retrouver son autonomie relative et que ses citoyens peuvent être fixés sur leur statut entre l’UE et le Royaume Uni. Or, l’UE n’est pas signataire des Accords (pas plus que les États-Unis). La république d’Irlande, membre de l’UE, est pressée de voir les difficultés résolues. C’est donc au Royaume Uni, signataire des Accords et acteur incontournable, que revient l’avantage. Les concessions de l’UE reflètent donc, non seulement un dégel dans les relations diplomatiques, mais aussi l’initiative que les Britanniques ont pu saisir.

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Est-on sorti de l’auberge ?

Il est quand même trop tôt pour déboucher le champagne. Le « cadre de Windsor » doit être approuvé par le Parlement britannique. Certains députés conservateurs restant fidèles à l’idée d’un Brexit dur pourraient se révolter contre leur gouvernement. Ce serait gênant pour Sunak mais ne constituerait pas un obstacle pour le nouveau Protocole car les Travaillistes sont prêts à le voter. La difficulté majeure est celle que présente le plus grand parti unioniste, le DUP, qui, s’il ne trouve pas le Protocole à son goût, continuera de bloquer la mise en place d’un gouvernement exécutif. Pour l’instant, les partisans de la ligne la plus dure au DUP ont exprimé leur désapprobation, mais le Parti lui-même n’a pas encore formulé sa réponse officielle. Il y a une pression pour qu’elle soit positive, car le gouvernement britannique pourrait déclencher de nouvelles élections qui ne favoriseraient pas le DUP.

Pourtant, même si le Protocole new-look est adopté, ce ne sera pas nécessairement le point final. Chaque fois que, pour une raison ou une autre, le frein Stormont sera invoqué, l’UE et le Royaume Uni seront obligés de renégocier leurs relations à la lumière de la règle faisant l’objet du frein. Au théâtre où le spectacle du Brexit se produit, on peut faire relâche de temps en temps, mais la saison elle-même est sans fin.




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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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