Le 23 décembre, Emmanuel Macron, ému ou effrayé par la situation des Arméniens au Haut-Karabakh, avait appelé Ilham Aliyev, le président azéri, à « permettre la libre circulation le long du corridor de Latchine ». Quelques jours plus tard, le Dr Esmira Jafarova publiait dans Causeur un article étonnant, vantant la situation des plus enviables des Arméniens du Haut-Karabakh, protégés de la folie des hommes par la mansuétude du pouvoir azéri et sa grande bienveillance à leur égard. Et niant, bien évidemment, le blocage de toute marchandise (vivres, équipement, médicaments) à destination des Arméniens de la région. Le gaz avait même été coupé, ce qui est toujours sympa à l’entame de l’hiver.
Le Dr Esmira Jafarova ne faisait d’ailleurs en cela que son job puisque, depuis le 1er novembre 2019, elle a été nommée membre du conseil d’administration du Centre d’analyse des relations internationales (AIR Center) par ordre du président de la République d’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev. Mais en opposition au discours d’Aliyev, porté scrupuleusement par le Dr Esmira Jafarova, il y a la réalité, qui tente vaille-que-vaille de se faire jour.
L’Azerbaïdjan, notre nouvel ami et allié par la volonté d’Ursula von Der Leyen, c’est une dictature féroce, ainsi qu’Elise Lucet l’avait dénoncé dans « Cash Investigation » et surtout comme le montre le classement international de Reporters sans frontières.
Certes, le pouvoir azéri arrose copieusement des politiques et des journalistes, en Europe et ailleurs, pour s’acheter une respectabilité grâce à sa « lessiveuse », le fameux scandale de Laudromat, dénoncé par Le Monde et dix autres rédactions européennes, dont l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) [1]. Mais les lessiveuses ne sont pas toute puissantes et peinent à masquer complètement les faits, qui sont d’ailleurs d’une rare limpidité.
Le Haut-Karabakh, c’est un territoire peuplé d’Arméniens depuis le XVIIIe siècle avant JC, où l’Azerbaïdjan mène une politique nationale de haine et de conquête, régulièrement pointée du doigt par des organisations internationales, dont le Conseil de l’Europe [2]. Mais il y a pire ; depuis la guerre de 2020, l’Azerbaïdjan a pris 75% du territoire du Haut-Karabakh, et l’a vidé de sa population arménienne. Aujourd’hui, le Haut-Karabakh se limite à un petit territoire autour de la capitale, Stepanakert, complètement enclavé en Azerbaïdjan. Mais c’est visiblement encore trop pour certains !
Il faut préciser cependant que selon le droit international le Haut-Karabakh fait partie de l’Azerbaïdjan et que les agréments de l’Arménie basés sur le droit à l’autodétermination n’ont pas été retenus par les instances internationales. Ainsi même l’Arménie n’a pas reconnu officiellement la République autoproclamée de Haut-Karabakh (Artsakh). Si le district de Latchine (et ses villages) fait partie de Azerbaïdjan de jure et de facto, ce n’est que depuis fin août dernier et suite à l’accord tripartite signés par les présidents arménien, azéri et russe, en novembre 2020, pour mettre fin à la deuxième guerre de Karabakh.
Si on en parle aujourd’hui c’est qu’avec le blocage de la seule route qui relie le Haut-Karabakh à l’Arménie, ce n’est pas que le Haut-Karabakh qui est menacé, mais l’Arménie toute entière.
Le président azéri a déclaré à plusieurs reprises et encore tout récemment que plusieurs régions d’Arménie sont des territoires azéris qu’il entend bien annexer [3], y compris la capitale Erevan [4]. L’Azerbaïjan ne fait d’ailleurs pas mystère de son allégeance à la Turquie, qui elle-même ne cache plus son désir de recréer un empire ottoman. Rappelons que la Turquie et son vassal l’Azerbaïdjan sont des Etats négationnistes, aux yeux desquels le génocide de 1915 fut une randonnée un peu sportive. Les autorités turques vont jusqu’à glorifier régulièrement les auteurs de celui-ci quand ils n’appellent pas à finir le travail ! Lors de la célébration de sa victoire, à Bakou, le 10 décembre dernier, Recep Tayyip Erdogan, n’invoquait-il pas, des étoiles (ou des croissants ?) dans les yeux, Enver Pacha, c’est-à-dire l’un des principaux architectes du génocide de 1915, ainsi que l’armée islamique du Caucase, qui a poursuivi dans la région l’épuration accomplie en Turquie ?
Certes, des réunions du conseil de sécurité de l’ONU ont régulièrement lieu sur le sujet et la Cour internationale de justice a été saisie de la question. Elle a même ordonné des mesures provisoires contre l’Azerbaïdjan. Sans compter que les associations de spécialistes des génocides tirent régulièrement la sonnette d’alarme. Mais l’UE se tait et regarde complaisamment ailleurs, oubliant son passé, pas si lointain. Les Européens pourront-ils, une fois encore, pleurnicher qu’ « ils ne savaient pas » ?
[1] https://en.wikipedia.org/wiki/Azerbaijani_laundromat
[2] https://rm.coe.int/quatrieme-rapport-sur-l-azerbaidjan/16808b5582
[3] https://eurasianet.org/azerbaijan-president-calls-for-return-to-historic-lands-in-armenia
[4] https://oc-media.org/aliyev-says-yerevan-historically-azerbaijani/
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