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Rouen: «C’est anormal qu’une communauté soit obligée de baisser la tête pour vivre en France»

La ville est sous le choc après l'attaque de sa synagogue la semaine dernière. Quatre pompiers et quatre policiers ont été décorés hier


Rouen: «C’est anormal qu’une communauté soit obligée de baisser la tête pour vivre en France»
Rassemblement à Rouen le 17 mai 2024 après l'attaque antisémite survenue le matin © ROBIN LETELLIER/SIPA

Entretien avec Jonas Haddad, Conseiller Régional (LR) de Normandie


Causeur. Que sait-on du parcours de l’incendiaire de la synagogue de vendredi matin, abattu par la police ?

Jonas Haddad. Selon ce que nous a dit Monsieur le procureur, c’est donc un Algérien, qui était sous OQTF. Il avait demandé à obtenir un titre de séjour pour raisons de santé. Il avait fait un recours, après un refus administratif à la suite d’une expertise médicale. En janvier, la préfecture lui a signifié que son recours n’était pas valable et qu’il devait donc quitter le territoire, ce qu’il n’a pas fait. Je ne sais pas où il logeait, mais il est supposé qu’il était sur Rouen.

L’avocat et conseiller régional Les Républicains Jonas Haddad. DR.

La maire socialiste, Nicolas Mayer-Rossignol, a déclaré se tenir auprès de la communauté juive inquiète. Il a dit que « la bête immonde a frappé », que « s’attaquer à une synagogue, c’est s’attaquer aux juifs, c’est donc s’attaquer à nous toutes et tous, à la République ». Vous a-t-il convaincu ?

La réaction politique locale a été claire et nette. Monsieur Mayer-Rossignol est dans son rôle de maire, et son discours le bon. Reste qu’en faisant cela, il commente, il réagit aux conséquences d’un problème. Maintenant, quand on est un responsable politique, il faut pouvoir traiter des causes du problème. Si lui parle de « bête immonde », moi j’évoque une autre référence qui sont les « racines du mal ». Si on ne s’attaque pas aux racines du mal, ces actes-là vont se multiplier.

Il y a eu un rassemblement le soir même à l’appel de la Mairie, devant l’Hôtel de ville, et beaucoup de citoyens s’y sont rendus. A Rouen, il y a cette particularité, c’est que même s’il s’y est passé beaucoup de choses, nous avons une belle solidarité, notamment entre les différentes communautés. Mais je l’ai dit à vos confrères qui m’ont interrogé : j’en ai marre des marches blanches, des bougies, des nounours en peluche… Nous, élus, ne sommes pas là en permanence pour déplorer et pleurer : il faut qu’on s’attaque aux racines du mal, faire en sorte que de tels événements ne se reproduisent plus.

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L’état sécuritaire de la préfecture de Seine-Maritime vous inquiète-t-il ?

L’état sécuritaire se dégrade à toute vitesse. La ville de Rouen a été classée successivement comme 9e puis comme 3e ville la moins sécurisée de France[1] !

Je rappelle aussi qu’en 2016, on a égorgé un prêtre, le père Hamel, sur son autel, juste à côté de Rouen, à Saint-Étienne-du-Rouvray. Et le vendredi-même du drame survenu à la synagogue, de l’autre côté de la ville, à Saint-Sever, rive gauche, on apprenait que quelqu’un était blessé au couteau. Rapidement, la sécurité dans la ville se dégrade, c’est un fait. Je ne fais pas de lien direct avec ce qui s’est passé à la synagogue car je dirais qu’il y a là une singularité, un contexte actuel précis, à savoir ce « djihadisme d’atmosphère » dont parle Gilles Kepel.

Quels sont les dégâts ?

À ce propos, j’aimerais avant toute chose corriger quelque chose que l’on a beaucoup lu dans la presse : il ne s’agit pas d’une « tentative d’incendie » ! J’ai pu rentrer dans la synagogue. C’est simple : toute la gauche de la synagogue a brûlé. Et l’intégralité de l’intérieur du bâtiment, des chaises, du parquet sont évidemment recouverts de suie. La synagogue, en l’état, est complètement impraticable. Des offices ont depuis l’incendie été célébrés dans la cour, à l’endroit même où l’incendiaire a pénétré. Le rabbin s’est réjoui du fait que les rouleaux de la Torah aient été retrouvés intacts.

Est-ce un acte terroriste, selon vous ?

Ce n’est pas à moi de le qualifier, mais ce qui certain, c’est que cet individu a voulu brûler la synagogue, laquelle se situe de plus au centre-ville de Rouen, accolée à d’autres immeubles – ce qui aurait pu faire des dégâts considérables. La personne est restée sur les lieux des faits : son objectif était de voir son œuvre de destruction. Il a commencé à faire brûler la synagogue, puis il est resté à côté pour observer et les policiers sont arrivés. Heureusement, il n’y avait personne à l’intérieur, parce qu’il n’était que 6 heures du matin.

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Ce drame est-il lié au 7 octobre et à la guerre au Proche-Orient, selon vous ?

Je ne saurais le dire ! Mais je sais que depuis cette date les actes antisémites ont explosé, le fils de la présidente de cette communauté a d’ailleurs dû changer d’école car il était quotidiennement pris à parti. Quand des gens s’interrogent, à juste titre, devant des juifs voulant partir en Israël alors qu’il s’agit d’un pays en guerre, eh bien en réalité, avec des actes comme celui-là, on peut le comprendre.

Quand vos enfants vont à l’école sous protection judiciaire, quand vos lieux de cultes sont incendiés, et que vous ne pouvez plus mettre les pieds dans certains quartiers, c’est sûr que vous vous posez la question de savoir si vous voulez rester dans ce pays. C’est pour ça que je dis qu’il faut s’attaquer aux causes plutôt qu’aux conséquences. C’est anormal qu’une communauté soit obligée de baisser la tête pour vivre en France, alors que pourtant, c’est une communauté installée de façon millénaire dans ce pays. À Rouen, il existe le plus ancien monument juif d’Europe, la Maison Sublime. Entre certains qui se demandent comment chasser les juifs de France, et l’existence de ce monument, on est pris d’un certain vertige.

Gérald Darmanin est revenu dans votre ville hier.

C’était une cérémonie sobre qui a décoré notamment un jeune policier qui a abattu l’assaillant. Il a sauvé son équipage et les pompiers qui étaient menacés par l’agresseur qui fonçait sur eux avec un couteau. Il a aussi empêché la synagogue de brûler et de provoquer un incendie dans tout le centre-ville. C’est cela un héros.


[1] En se basant sur une dizaine de critères et les chiffres de la délinquance recensés par le ministère de l’Intérieur, Le Parisien a dresse le classement des villes de plus de 50 000 habitants les plus sûres en France métropolitaine en mars : voir https://www.leparisien.fr/faits-divers/cambriolages-agressions-vols-notre-classement-exclusif-des-villes-les-plus-sures-de-france-16-03-2024-6ABGR6YUFZHGBBDM73TEEZINMQ.php



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Rédacteur en chef du site Causeur.fr

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