La sexualité des « seniors » est un tabou que les magazines et les romans adorent briser. Rosa Montero s’y attelle cette fois dans son roman explicitement intitulé La Chair.
C’est Soledad (« solitude » en espagnol) qui mène la danse. Elle a soixante ans, « l’âge des chiens » où chaque année compte pour sept, elle est riche, elle est commissaire d’exposition et célibataire. Peut-être en partie parce qu’elle est convaincue que rien n’est plus torride que de faire l’amour sur du Wagner. Son amant vient de la quitter, elle n’aime que les Apollon, est incapable de désirer un homme de son âge, forcément flasque, dégarni et négligé. Heureusement, auplaisirdesfemmes.com est là pour lui offrir, ou plutôt pour lui vendre, ce dont elle a besoin. Elle choisit sur catalogue Adam, une créature divine de trente-deux ans à l’accent russe.
La solitude, ça n’existe pas
Elle le paie, puis ne le paie plus, ils s’attachent l’un à l’autre, puis se détachent, elle est amoureuse puis ne l’est plus. Une relation tragiquement banale entre un gigolo et sa cliente. Soledad se plaint beaucoup. D’abord, les gigolos coûtent plus cher que les putes, ce qui fait que les femmes sont encore une fois perdantes. Ensuite, son corps n’est plus présentable en pleine lumière, il lui faut essayer toutes les combinaisons d’éclairages possibles pour en masquer les bourrelets, les affaissements, les taches. Enfin, dans son travail, une quadragénaire pimpante essaie de lui voler la vedette. Soledad organise une exposition pour la Bibliothèque nationale espagnole. Le thème : les écrivains maudits. Elle connaît les secrets de Mark Twain, de Philip K Dick, de Maupassant, elle veut leur adjoindre Françoise Sagan ainsi que deux romancières chiliennes ayant assassiné leur amant.
Plus elle développe son sujet et essaie de le rendre compréhensible pour Adam, plus elle se projette dans ces destins maudits. Tous ceux qui l’ont vue en public, à l’opéra ou au restaurant, en compagnie d’Adam, en ont conclu qu’ils étaient mère et fils. Soledad se croit frappée du même syndrome qu’Aschenbach, l’amoureux cholérique de La Mort à Venise. Elle se sent, une fois épilée et apprêtée pour ses rendez-vous tarifés, aussi pathétique que le personnage de Thomas Mann.
Rosa Montero, qui fait une apparition pleine d’autodérision dans le roman, montre la « femme mûre » sous un angle impitoyable. Égoïste, mégalomane, autocentrée, méprisante et nymphomane, ainsi est décrite avec pragmatisme la femme ménopausée, riche de ses contradictions, de ses rides, de son expérience, dominante et fragile, mature et infantile, belle et insortable, il y a fort à parier que les lectrices concernées s’y reconnaîtront.
Soledad finit par s’éloigner d’Adam, dans des circonstances si romanesques qu’elle se promet de commencer enfin l’écriture du roman qu’elle mûrit depuis toujours.
Rosa Montero nous présente son dernier roman… par la-grande-librairie
Et parlant de femmes mûres qui écrivent sur des femmes mûres qui écrivent et aiment des écrivains, les hispanophiles pourront jeter un oeil sur le dernier roman d’Anne Serre, Voyage avec Vila-Matas. Moins flamboyant, plus littéraire et cérébral, avec à la clé un énième portrait de ces femmes à chats dont on désespère de se lasser.
Rosa Montero, La Chair – Anne-Marie Métailié, 196 pages.
Anne Serre, Voyage avec Vila-Matas – Mercure de France, 144 pages.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !