Que répondez-vous à ceux qui disent qu’on ne peut pas ne rien faire et se croiser les bras ? Après tout, cela fait sens, non ?
Votre question soulève un point capital. Car la représentation de la réponse à la crise est tout aussi fallacieuse que la représentation de la crise elle-même. Vous-même avez le sentiment qu’on ne fait rien. C’est faux. Le conflit du Darfour est l’objet d’un grand investissement diplomatique, gouvernemental, inter-gouvernemental et onusien. Résolutions de l’ONU, décision d’envoyer des casques bleus, voyages de diplomates, pressions sur Khartoum, menaces de sanctions financières, le tout assorti d’un déploiement humanitaire d’une ampleur et d’une efficacité inédites : la mobilisation internationale dans ce domaine est sans précédent dans l’histoire et a permis de sauver des dizaines de milliers de vies. Ce n’est tout de même pas rien ! Or, tout cela est présenté comme une agitation stérile destinée à servir d’alibi et à laisser de côté les véritables enjeux. En d’autres termes, on transforme un problème en scandale. On explique que cette crise pourrait être réglée par une intervention armée d’interposition, qu’il existe donc une solution immédiate pour mettre un terme à l’horreur mais qu’on refuse de la mettre en œuvre.
On ne sait pas très bien qui est ce « on », le pouvoir en général sans doute. Mais en tout cas, ce « on » nous refait le coup de Munich.
Exactement. Tout cela ne serait qu’une question de courage politique. Il y avait une solution à l’époque, il y avait une solution au Kosovo, il y avait une solution pour l’Irak, il y a une solution au Darfour : il suffisait, et il suffit toujours d’envoyer la troupe. L’expérience abondante des interventions armées diverses de ces 17 dernières années, depuis la première guerre du Golfe, permet de mieux comprendre les conditions et les limites des succès dans ce domaine. Sans entrer dans le détail, je crois pouvoir dire que toutes les conditions de l’échec d’une force d’imposition de la paix (de type Restore Hope en Somalie en 1992-94) sont réunies au Darfour. Une telle intervention n’est plus à l’ordre du jour, je le précise. Mais les membres de l’Arche de Zoé qui sont aujourd’hui en prison pour plusieurs années sont les victimes collatérales de nos mobilisateurs d’opinion.
Vous avez un jour traité BHL de « néo tiers-mondiste ». Est-ce sous ce signe que vous placez l’ingérence humanitaire ?
J’entends par tiers-mondiste les discours qui conjuguent idéologie victimaire et rhétorique accusatoire. Je suis frappé de constater qu’un certain discours néo-conservateur, celui de la revue Le Meilleur des Mondes notamment, s’est approprié la forme argumentaire tiers-mondiste des années 80. L’ »islamofascisme » y tient la place du capitalisme mais j’y retrouve le même dolorisme et la même conviction occidentalo-centrée que la solution du problème est entre nos mains.
Selon les tenants de l’ingérence humanitaire, dont BHL se décrit maintenant comme le théoricien, il revient en somme à une avant-garde éclairée de faire advenir un ordre juste par la violence (tous ces intellectuels ont gardé une fibre léniniste). Dans certaines conditions seulement, certes, mais on discerne mal les critères de choix. Toujours est-il que c’est bien de cela qu’il s’agissait pour le Darfour, et que cela, c’est une recette pour le chaos.
Quelle conclusion tirez-vous de l’affaire de l’Arche de Zoé ?
Il est urgent d’en finir avec la conception d’un humanitaire de coups et de symboles. L’action humanitaire mérite mieux que cette morale jetable et les effets de manche qui l’accompagnent.
Propos recueillis par Elisabeth Lévy et Gil Mihaely
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