Chaque année, en France, pour marquer l’anniversaire de la naissance de Dostoïevski et célébrer l’armistice de la Grande guerre, le 11 novembre est férié. Les Français moyens font la grasse matinée, les anciens combattants se réunissent avec les sous-préfets au pied des monuments aux morts, les enfants finissent par s’ennuyer en fin d’après-midi. C’est cette date symbolique que France 3 a choisi pour rendre hommage à l’une des plus grandes actrices du siècle dernier, Romy Schneider, à travers un très bon documentaire : Romy de tout son cœur (20h55). Autrichienne ou Allemande, d’ailleurs, Romy ? Née à Vienne en 1938, dans une Autriche annexée, l’actrice est née Allemande. C’est auprès de sa mère actrice, Magda, que la jeune Rosemarie Magdalena (de son vrai nom) fait ses débuts dans le cinéma. La maman, ayant flirté avec le nazisme, connaît comme un léger ralentissement dans sa carrière après-guerre. Elle joue pourtant en 1953 dans Lilas blancs, et Romy incarne sa fille. La petite a 15 ans et se fait immédiatement remarquer. La suite on la connait : le succès mondial de la saga des Sissi (de 1955 à 57), la naissance d’une star aux traits juvéniles et à la photogénie ravageuse, qui sera bientôt une icône…
Pascal Forneri, à qui nous devons déjà de nombreux films sur la culture pop (Gainsbourg, Serge Reggiani, ma liberté, Salut les copains, etc.) suit un cheminement chronologique, et lie les différentes étapes de la vie de Romy par la lecture d’extraits de son journal intime par la comédienne Isabelle Carré. Partout, dans ce journal, qu’elle avait appelé « Peggy », affleure sensibilité et humour… En voyage aux Etats-Unis pour faire la promo de Sissi, elle écrit : « On nous apporte une biographie de moi qui a été écrite chez Disney. On y lit : ‘Romy reçoit chaque jour 3000 lettres de fans’. C’est risible. Il y en a au maximum 600 », et d’enchaîner sur les demandes en mariage incongrues qu’elle reçoit depuis qu’elle est impératrice de cinéma. Ailleurs, elle confie à « Peggy » ses doutes : « Tout est compliqué. Peut-être suis-je en fait une bulle de savon qui éclatera un jour dans un grand bruit. Alors il ne restera rien de moi qu’un peu de mousse. Pourtant ce n’est pas moi qui ai fait la bulle ». On devrait obliger toutes les actrices à tenir des journaux intimes…
Pour une fois l’accent est mis sur les films
Puis vient le temps des rencontres décisives. C’est d’abord Alain Delon qui apparaît à l’horizon ; s’ensuit une romance légendaire : Romy suivra le jeune premier et comme par un effet miraculeux elle deviendra soudain une actrice française, et même une Parisienne plus Parisienne que toutes les Parisiennes réunies. De leur amour naîtra notamment La piscine (1969), sommet de sensualité. La seconde rencontre c’est Luchino Visconti, qui offre à Romy l’occasion d’approfondir encore son art de la comédie. Il la dirigera au théâtre dans Dommage qu’elle soit une putain. Ensuite, vers le milieu des années 60, c’est l’expérience-limite du tournage de l’Enfer d’Henri-Georges Clouzot. Le metteur en scène passe des semaines à réaliser des essais visuels extravagants, recouvrant l’actrice de paillettes, faisant tourner au dessus de son visage des spots de couleurs, tout en piquant les colères légendaires qu’on lui connait. L’entreprise n’aboutira pas. Le film est fantôme. Il en reste des heures de rushs, et l’impression que l’occasion a été manquée par Clouzot de réaliser le plus beau film français du XXème siècle. On retrouvera ces images fascinantes, certainement les plus envoûtantes de l’actrice dans le documentaire L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot de Serge Bromberg, sorti en 2009. Sur le chemin de Romy, également, se présente un Allemand, nommé Harry Meyen, acteur (il a été la voix de Bob Mitchum et Peter Sellers dans la langue de Goethe…) et dramaturge. De cette rencontre naîtra une vie conjugale d’une dizaine d’années, parfois chaotique, et la naissance d’un petit garçon, David, au destin tragique que l’on sait.
De nombreux témoignages de ses proches
Le documentaire de France 3 est ponctué, en voix-off, de nombreux témoignages de proches de Romy, les auteurs Jean-Claude Carrière et Jean-Loup Dabadie, le compositeur Philippe Sarde, l’agent Jean-Louis Livi, l’actrice et chanteuse Jane Birkin, etc. Et comme souvent dans ses films, Pascal Forneri ponctue sa narration de petites saynètes de comédie illustratives, donnant à cet hymne à l’actrice une légèreté qui n’est pas coutumière. On a vu trop souvent, au sujet de l’impératrice Romy, des documentaires sensationnalistes, se focalisant sur les dernières années tragiques : le cancer de l’actrice, la mort accidentelle de son fils, les paparazzis déchaînés, sa propre disparition prématurée à l’âge de 43 ans. Pour une fois l’accent est mis sur les films. Et, évidemment, le cinéma élégant, sophistiqué, sentimental de Claude Sautet occupe une bonne place dans cette célébration de Romy. Les choses de la vie (1970), Max et les ferrailleurs (1970), César et Rosalie (1972). Claude Sautet s’approprie les années 70, et l’actrice – après Balzac – invente le concept de femme-de-30-ans. Après Une histoire simple (1978) Sautet promet même à l’actrice un prochain rôle, quand elle aura 50 ans. Le projet n’aboutira donc pas. Tourmentée, touchante, Romy apparaît encore dans quelques films à l’orée des années 80, dont Garde à vue de Claude Miller. Dans ce film, elle quitte la scène en se suicidant. Puis c’est l’éclipse. Le documentaire de France 3 souligne que dans l’émotion l’accent allemand de Romy Schneider s’exacerbait. Les historiens retiendront qu’elle a aussi inventé la notion d’accent allemand…
Documentaire Romy de tout son cœur, France 3, vendredi 11 novembre, 20h55.
A noter qu’Isabelle Carré est sur la scène du Théâtre de l’œuvre (Paris) jusqu’au 8 janvier 2017 dans Le sourire d’Audrey Hepburn.
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