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Roms : il faut choisir son camp !


Roms : il faut choisir son camp !

La question rom est de retour. En plein creux de la mi-août, disputant à la prière familialiste de Mgr André Vingt-Trois l’honneur d’indigner les belles âmes plumitives de garde pendant les congés d’été. Madame Pulvar, directrice de la rédaction des Inrockuptibles, saisit l’occasion de démontrer combien elle est indépendante de son ministre de compagnon : elle critique vertement les démantèlements de camps sauvages de Roms, et l’expulsion vers leur pays d’origine de ceux d’entre eux qui se trouvent en situation irrégulière. « Cher François, on n’a pas voté pour ça ! », s’étrangle l’ex-chroniqueuse de Laurent Ruquier, qui ne semble pas percevoir que les électeurs de gauche ne sont pas tous ravis de voir se développer les occupations sauvages de terrains privés dans les campagnes et la mendicité, le vol à la tire et les petites arnaques de rues dans nos villes.

Fort du soutien de la grande majorité des élus, de droite comme de gauche, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, n’a pu faire autrement que poursuivre, la rhétorique en moins, la ligne adoptée par Nicolas Sarkozy et Claude Guéant[access capability= »lire_inedits »]. Le droit français et communautaire est sans équivoque : tout citoyen d’un pays de l’UE qui ne peut justifier, au bout de trois mois de séjour dans un autre pays-membre, de revenus licites lui permettant de vivre décemment, peut faire l’objet d’une mesure d’expulsion vers son pays d’origine. Cela concerne les Finlandais, les Luxembourgeois et les Bavarois autant que les Roumains et Bulgares, roms ou pas. Cependant, les statistiques sont formelles : on expulse mille fois plus de Roms des Balkans que de ressortissants des pays nordiques, et ce serait la preuve de la stigmatisation intolérable dont les premiers seraient les victimes dans la prétendue patrie des droits de l’homme.

À partir de là, la logique binaire peut se mettre en marche : d’un côté les sans-cœur, insensibles à la misère du monde, qui font donner la police et les bulldozers dans les bidonvilles périurbains, et de l’autre les chevaliers blancs de la compassion universelle.
Cela fait pourtant un bail que les sociétés européennes sont confrontées à la présence en leur sein de ces tribus venues d’Inde au XIVe siècle, et qui ont conservé depuis lors une remarquable homogénéité linguistique et culturelle. En butte à l’hostilité des populations sédentaires qui attribuent – parfois à raison – à ces populations nomades toutes sortes de crimes et délits, ces Roms, Tziganes ou Bohémiens sont l’objet de mesures répressives (servage, envoi aux galères) jusqu’à ce que les régimes issus des Lumières tentent de les sédentariser et de les intégrer à la communauté nationale. Dans l’ensemble, c’est un échec, et les divers groupes de Roms maintiennent leur mode de vie et leurs coutumes : nomadisme, endogamie, refus de l’éducation hors du groupe.

Jusqu’au milieu du XXe siècle, leur survie économique était assurée par les « dividendes du nomadisme », qui leur permettaient de rendre quelques services dans un espace rural demeuré à l’écart des flux de marchandises : savoir-faire spécifiques, comme ceux des rétameurs, rémouleurs et rempailleurs de chaises, amélioration de la qualité génétique du cheptel par l’apport de chevaux venus d’ailleurs…
Dans une France où la majorité des enfants quittait l’École à 12 ans, on ne se préoccupait pas de la scolarisation des enfants de « Bohémiens », et la gestion de ces populations se limitait à sa surveillance policière au moyen du « carnet de circulation », encore en vigueur aujourd’hui.

Le déclin, voire la disparition des petits métiers qui assuraient la survie matérielle des Roms de France, a eu pour conséquences leur paupérisation et la mise en place d’un système de débrouille économique fondé sur la perception des minimas sociaux augmentés de revenus de travaux occasionnels ou saisonniers, la plupart du temps non déclarés. Le grand nomadisme (errance sur des aires géographiques étendues) a fait place au semi-nomadisme (hiver dans une aire de stationnement publique ou privée, printemps et été en déplacement). Certains groupes, enfin, se sont définitivement sédentarisés, sans pour autant abandonner leur structure clanique et tribale.

Face à cette situation, les responsables politiques français de tous bords ont tenté d’appliquer à ces populations les principes républicains, et de mettre à leur disposition les services publics dont bénéficient les autres citoyens français : éducation, santé… À la fin du siècle dernier, un ministre socialiste, Louis Besson, fut à l’initiative d’une loi obligeant les autorités locales à aménager des aires de passage et de stationnement pour les « gens du voyage ». Dans chaque académie, une structure spécifique s’occupe de mettre au point des formules permettant d’adapter la scolarité des enfants au mode de vie des groupes nomades ou semi-nomades. On serait en peine de trouver, dans des pays européens comparables, un tel souci d’adaptation à une réalité anthropologique complexe. Plus que dans les pensums de sociologie bien-pensante qui se plaisent à dénoncer la mise sous surveillance foucaldienne des populations roms par l’État qui surveille et punit, c’est dans les bilans modestes, mais réalistes des acteurs de terrain que l’on peut débusquer la réalité[1. Voir par exemple, le rapport du Centre Académique pour la Scolarisation des Nouveaux Arrivants et enfants du Voyage de l’Académie et du Rectorat de Montpellier.]. Et celle-ci est éloquente : en dépit de l’argent dépensé, de l’ingénierie sociale et pédagogique mise en œuvre, la puissance publique se heurte au roc de l’anthropologie. Les filles continuent à se marier à 15 ans avec des garçons de 17 ans, la promotion par l’École est dévalorisée face à la loi du groupe, ce qui ferme la porte à l’émancipation des individus.

L’arrivée massive de Roms d’Europe orientale a, de surcroît, rendu plus visible une situation que l’État-providence avait réussi à masquer pour ses Roms nationaux, que l’on avait sortis des rues pour les faire passer au guichet du RSA et des allocations familiales. Aujourd’hui, l’Union européenne a lancé un vaste programme visant à l’intégration des Roms dans les sociétés des pays-membres – objectif qui a tout d’un oxymore. Des sommes énormes sont mises à la disposition des pays qui se conformeront aux directives de l’UE dans ce domaine : lutte contre les discriminations, programmes d’éducation et d’intégration etc. Encore faudrait-il que les principaux intéressés comprennent que l’intégration, comme le tango, se pratique à deux : chacun doit y mettre du sien. On en est loin.[/access]

Septembre 2012 . N°51

Article extrait du Magazine Causeur



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