La question est simple: faut-il aller défiler ce samedi Place de la République ?
La réponse est plus délicate, sauf si vous êtes supporter inconditionnel du président et/ou favorable en bloc aux diverses annonces faites cet été en matière d’insécurité, de nationalité et de menace rom, auquel cas elle ne se pose même pas.
Logiquement, elle ne devrait donc pas se poser non plus pour ceux – dont je suis – qui, à l’inverse, n’ont pas apprécié le feuilleton de l’été. Et pourtant… Je vous livre donc en vrac les bricoles qui feront que personnellement, je préfère me faire porter pâle.
Tout d’abord, la date, et sa charge symbolique. La Ligue des Droits de l’Homme nous appelle en effet à commémorer en ce quatre septembre le 140ème anniversaire de la fondation de la Troisième République. Sans doute imagine-t-on chez ces gens-là avoir fait une bonne farce en juxtaposant l’image de Napoléon III déchu à celle de Sarkozy, sans même verser un euro de droits d’auteur à Jean-François Kahn, qui, me semble-t-il, inventa le concept. Mais de là à célébrer l’avènement d’un régime qui aussitôt en place, a fêté ça en massacrant en masse – avec la complicité du Kaiser- la population ouvrière de Paris… Cet happy birthday là, celui de Thiers et de Galliffet, on va dire que ce sera sans moi…
Toujours dans l’ordre du symbolique, je ne souhaite pas cautionner un cortège où je sais qu’on va reprendre les insanités relativistes et pour tout dire négationnistes de fait proférées ces dernières semaines. Evoquer à propos des expulsions de roms les rafles de l’Occupation, la Gestapo, la Shoah est une injure non seulement aux victimes juives de l’Holocauste, mais aussi à tous ceux qui ne sont jamais revenus, tziganes compris. Le brevet de FTP que s’auto-décernent ainsi les amalgameurs est obscène, point barre.
Cette date pose un autre problème, d’ordre tactique pour le coup: elle tombe pile 3 jours avant la journée de grève et de manifs sur les retraites. Autant le dire tout de suite, ce jour-là, le mouvement social jouera sa tête. Quand je parle de mouvement social, je pense à quelque chose qui dépasse très largement les syndicats et la gauche établie, et qui renvoie plutôt à tous ceux qui, comme moi, n’envisagent pas de prendre leur retraite à l’âge fixé par Laurence Parisot, Jean-Claude Trichet et les péteux de chez Moody’s.
Agenda suicidaire
Or, non seulement il n’est pas malin pour la gauche de courir deux lièvres à la fois (le sécuritaire et les retraites), mais il est suicidaire de placer en premier dans le calendrier de rentrée un sujet qui divise profondément la gauche d’en bas (tous les sondages l’attestent), en lui donnant donc la priorité sur une thématique qui la fédère. En convoquant au forceps sa manif le quatre septembre, la LDH et la gauche sociétale dont elle est l’expression organique, ont envoyé un rappel à l’ordre à toutes les autres gauches. Le message a beau être subliminal, il n’en est pas moins trivial: « C’est bien beau vos histoires de retraites, mais c’est du pipi de chat quand la République est en danger.» Pour ceux qui pensent que j’exagère, je rappellerai que le mot d’ordre officiel des cortèges est Liberté, égalité, fraternité. Pris en otages par leurs propres contradictions ni Thibault, ni Chérèque, ni Aubry n’ont eu le réflexe d’envoyer les associatifs aux pelotes, ils auront donc à subir les conséquences de cet agenda suicidaire[1. Pour avoir a contrario annoncé au Parisien d’hier « Personnellement, je ne défilerai pas », François Rebsamen se fait copieusement pourrir sur le site de la LDH. Dans la même interview, le sénateur-maire PS de Dijon, qui estime qu' »il est du devoir d’un gouvernement de reconduire à la frontière des étrangers en situation irrégulière » avait aussi exprimé sa crainte « que cette manifestation ne donne lieu à des dérives de slogan et que des amalgames un peu faciles ne soient faits ». Bingo, puisque la LDH l’a aussitôt taxé de sarkozysme…].
Il va de soi que ce forcing de la LDH pour imposer sa conception des priorités n’a rien de fortuit. Ce qui m’amène à ma principale réticence quant à l’opportunité de cette manif : on y sent, à mes yeux, un peu trop fort la volonté de faire ressembler ad vitam æternam la gauche à la caricature qu’en font Sarkozy, voire Morano ou Estrosi. En effet, sur les questions de sécurité, à gauche, les lignes bougent, plutôt vite, et pas seulement en bas. Il y a encore six mois, Jean-Jacques Urvoas et Manuel Valls étaient les moutons noirs de l’opposition, les pourfendeurs parfaitement isolés du laxisme et de l’angélisme ambiant, toujours soupçonnés de sarkozysme rampant. Or, depuis ce mois d’août, c’est le dégel. Ainsi DCB a-t-il imposé un « atelier sécurité » à l’Université d’été des Verts, où bizarrement, on a vraiment parlé de sécurité, et pas seulement des états d’âme du Syndicat de la Magistrature. Et même si je pense –mais je peux avoir tort – que la dépénalisation du shit prônée par Dany est une fausse bonne idée, j’apprécie qu’elle ait été avancée dans l’optique d’une lutte contre les zones de non-droit, et pas dans un trip libertaire postbaba. Ce n’est donc pas encore le Bad Godesberg sécuritaire, mais bon, on est chez les Verts, hein. Une mouvance où l’on revient de très loin, comme l’a plaisamment expliqué son numéro deux, Jean-Vincent Placé, à ses amis socialistes, lors d’une table ronde à la Rochelle: « Chez les écolos, il y a une commission Esperanto, mais pas de commission sécurité. »
Le piège à éléphants ne marche plus
Chez les socialistes, justement les choses ont changé aussi et pas vraiment dans le sens unique souhaité par la LDH, le SM ou par Marie-Pierre de la Gontrie, dirigeante du PS en charge des droits de l’homme et maitre d’œuvre du délirant « Zénith des libertés« de l’an dernier, à propos duquel on pourrait dire que l’adjectif laxiste était angélique et vice versa.
Toujours à la Rochelle, on a ainsi pu voir Ségolène redécouvrir le charme discret des centres fermés et de l’« encadrement militaire pour les jeunes délinquants », Jean-Jacques Urvoas dérouler tranquillement un « La police interpelle, mais il faut assurer une bonne exécution de la peine ensuite » qui lui aurait valu un blâme il n’y a pas si longtemps et François Rebsamen surenchérir en expliquant que « l’application immédiate des peines permet de réduire le taux de récidive ». Quant aux réponses traditionnelles du parti, elles sont de plus en plus contestées en interne: « la police de proximité ne suffira pas ! » [2. Toutes les citations de la Rochelle sont extraites de l’excellent blog consacré par les journalistes du Monde.fr à cette université d’été et du papier, exhaustif, qu’y a publié Nabil Wakim sur les questions de sécurité] a expliqué Abdelhak Kachouri, vice-président socialiste du Conseil Régional d’Ile-de-France chargé de la sécurité.
Les esprits les plus taquins pourront me faire remarquer, que sans le coup de vice estival de Nicolas Sarkozy sur les voleurs de poule coupables de tous les malheurs de la France, ce bougé n’aurait sans doute pas été possible. Et je leur concéderais volontiers le point, à condition qu’ils admettent en retour que jusque-là, la gauche se contentait de sauter à pieds joints dans les pièges à éléphants du président. Et qu’il est somme toute bien agréable de lire ceci dans la tribune publiée par Arnaud Montebourg dans Le Monde de jeudi dernier: « Les habitants de notre pays sont épuisés de voir ce débat sombrer dans les calculs électoraux. Dans leur grande sagesse, ils renvoient dos à dos tout à la fois ceux qui n’ont pas su prendre la juste mesure de leur exaspération, et ceux qui exploitent politiquement l’exposition des populations les plus modestes à la montée de la violence sans être capable de la faire reculer. »
Une autocritique qu’on pourra rapprocher d’une interview donnée au Monde, celle, fameuse, de Dany Cohn-Bendit le 17 aout dernier dont on aura surtout retenu le retentissant « Nicolas Sarkozy prend les Français pour des cons ». Mais ce texte mérite d’être lu, ou relu, dans son intégralité, notamment les passages ou il stigmatise ceux qui face à l’offensive présidentielle s’en tiennent à la « posture de vierge outragée ». Et Dany enfonce le clou en écrivant : « La politique de Nicolas Sarkozy nous rend aveugle. On doit évidemment la condamner. Mais le risque c’est qu’il nous empêche de nous poser les bonnes questions pour trouver des solutions et que chacun reste dans son jeu de rôle. ». Ma foi, je suis d’accord à 100%. C’est bien pour ça que, cet aprèm, j’irai plutôt prendre le soleil dans mon jardin.
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