Daoud Boughezala. Le Mouvement 5 étoiles fondé en 2009 par Beppe Grillo vient de remporter les mairies de Rome et de Turin. Pourquoi la crise économique et migratoire bénéficie-t-elle à ce parti antisystème au programme flou plutôt qu’à la droite nationale menée par la Ligue du Nord, clairement opposée à l’euro et à l’immigration ?
Marco Tarchi[1. Professeur de science politique à l’université de Florence, Marco Tarchi est un des plus grands spécialistes italiens du populisme.]. En premier lieu, parce que l’image de la Ligue du Nord est trop marquée par son passé de mouvement séparatiste et « antinational », qui lui empêche de percer dans l’électorat des régions du Centre-Sud du pays, qui n’a pas oublié les invectives contre les paresseux méridionaux (« terroni », comme on les appelle souvent dans le Nord de l’Italie). Et parce que le caractère transversal par rapport au clivage gauche/droite qu’elle revendiquait à ses origines a été renié par l’alliance conclue en 1999 avec Forza Italia, Alleanza nazionale et les démocrates-chrétiens de droite, qui lui a permis de participer au gouvernement de 2001 à 2006 et de 2008 à 2011, mais lui a aliéné les électeurs déçus des partis de gauche qui restent méfiants par rapport à ce rassemblement hétérogène et litigieux qu’est le centre-droit.
L’immigration fait-elle l’objet d’aussi vifs débats en Italie qu’en France ?
Pour l’instant, non. Mais le problème monte, et avec lui le débat. Et, comme en France, tous ceux qui expriment des réserves quant au « devoir d’accueil » des immigrés sont immédiatement accusés d’être des xénophobes. C’est par exemple le destin réservé au plus célèbre politologue italien, Giovanni Sartori, qui, à l’âge de 92 ans, a critiqué durement l’attitude de l’Eglise catholique en ce domaine, s’est fait traiter de raciste dans la blogosphère et ne publie plus ses articles dans le Corriere della Sera, dont il était jusqu’à récemment l’un des éditorialistes.
Doit-on donc comparer le M5S à Podemos, à Syriza ou au Front national de Marine Le Pen ?
Ces quatre mouvements partagent, dans des mesures différentes, certains traits typiques de celle que j’appelle la mentalité populiste, mais ils en offrent des déclinaisons assez divergentes. C’est pourquoi, selon les cas et les événements, ils adoptent l’un envers l’autre, des positions critiques, des attitudes de refus ou des expressions de sympathie. Des quatre, le M5S – mais il faudrait plutôt dire Beppe Grillo, car c’est son discours publique qui exprime à 100% la mentalité populiste, alors que les discours et les actions des dirigeants du Mouvement parfois s’en détachent – est sans doute le plus proche de l’idéal-type du populisme.
En 1946, quelques années avant l’émergence du poujadisme en France, un journaliste italien avait créé le Fronte dell’Uomo Qualunque (« Front de l’homme de la rue ») au programme libéral-populiste. Ce dernier avait fini par décliner en se rapprochant du gouvernement démocrate-chrétien. Le même sort attend-il le M5S ?
Absolument pas, car la raison du succès du M5S est entièrement liée à son caractère d’opposant à la politique politicienne, à la « caste » des politiciens professionnels. Même si les analogies entre le Fronte dell’Uomo Qualunque, le mouvement Poujade et le M5S sont, sous plusieurs points de vue, impressionnantes (il suffit de comparer le « code de comportement » imposé par Poujade à son groupe parlementaire et celui que Grillo a imposé à ses députés et sénateurs pour s’en rendre compte ; et pourtant, je suis sûr que le second n’a pas été calqué sur le premier, que Grillo ne connaît pas), je crois que le fond anti-système du Mouvement Cinq Étoiles est bien plus solide que celui de ses prédécesseurs.
Les partisans de Beppe Grillo font abondamment campagne sur les réseaux sociaux, en développant le mythe d’une démocratie participative permanente. Leur activisme virtuel est-il à même de (re)constituer une communauté nationale dans un pays aux fortes identités locales ?
Je suis très sceptique en la matière. Le but de cet activisme n’est pas de recréer, ou plutôt de renforcer, une identité nationale en termes communautaires, mais de régénérer un peuple et lui restituer son unité à partir de la nation de citoyens, qui n’a que très peu de connotations ethniques et culturelles – même si Beppe Grillo, de son côté, affiche des opinions très peu conformistes quant à l’immigration, le droit du sol et la priorité aux Italiens dans l’emploi (une position qui n’est pas trop loin de la « préférence nationale » du Front national) – et se fonde plutôt sur une éthique de participation à la res publica.
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