Un critique atrabilaire ou simplement obtus serait tenté, en évoquant le premier roman de Romaric Sangars, Les Verticaux, de commencer par crier : « Le roi est mort, vive le roi ! » En effet, on retrouve chez le jeune romancier aussi bien le style que les thèmes sur lesquels Richard Millet a jadis bâti sa réputation, avant que les embrouilles médiatico-éditoriales dont il fut le principal protagoniste ne fissent croire au commun des lecteurs que sa carrière littéraire était finie. Et avant que lui-même ne délaisse le romanesque pour le pamphlétaire. Un critique pertinent, au contraire, remarquera que le vieux roi n’est pas mort, tout au plus désabusé, alors qu’au dauphin il reste encore du chemin à parcourir. Essayons d’être à la hauteur.
L’auteur des Verticaux, avec ses phrases d’une longueur de demi-page savamment construites, son vocabulaire choyé, sa syntaxe tout en clartés et en nuances, son emploi du passé simple qui fait parfois sourire, tant la littérature contemporaine s’en est détachée, affiche d’emblée une ambition rare : élaborer une forme qui donne du sens par elle-même.[access capability= »lire_inedits »] Certes, cela ne suffit pas. Heureusement, Romaric Sangars ne se contente pas de montrer son talent d’excellent grammairien. À l’égal de son héros, un certain Vincent Revel, journaliste traînant d’une interview à l’autre l’amertume et le dégoût de l’époque qu’il habite, Romaric Sangars ambitionne une œuvre. « Me forger en forgeant un style, me purger des scories en limant des phrases, me tatouer l’âme de myriades de mots », s’explique Vincent devant un ami à qui il confie son rêve d’écrire. On y reconnaît les sempiternelles obsessions de Richard Millet, auxquelles son assidu lecteur, Romaric Sangars, semble adhérer entièrement. Seulement, s’il est vrai que chaque bon écrivain est d’abord un lecteur exigeant, il n’est pas moins exact que pour écrire il faut encore avoir le temps de vivre et même d’avoir vécu. Nous jugerons alors l’œuvre de Romaric Sangars à l’aune de ses aspirations, dans une petite trentaine d’années. En attendant, considérons qu’il nous laisse espérer, voire attendre, tant paraît engageante la sentence qu’il a mise dans la bouche de son narrateur : « L’honneur, je le percevais bien, voilà qu’il était essentiellement une question de langage, une garantie de langage, le sang à verser afin d’authentifier l’encre. »
Du sang versé, il y en a, dans les pages des Verticaux. À commencer par celui d’un lapin acheté dans une animalerie, à qui on coupe la tête en plein vernissage d’art contemporain – entendez en pleine célébration de l’imposture –, afin de semer une sainte terreur au sein de l’assemblée dont la jouissance ultime consiste pourtant à transgresser les tabous ; jusqu’à une des dernières scènes où un membre des « Verticaux » perd la vie dans un attentat islamiste. Or « Les Verticaux » est une bande de copains décidés à recourir à un « terrorisme propre », autant dire à mettre une pagaille surréaliste dans Paris, ceci pour « fonder une nouvelle noblesse », contrer « le régime techno-pulsionnel », refuser de « vaseliner le désastre ». Des réactionnaires ? Ce qu’en déduirait un lecteur de-gauche, si dans un moment d’égarement il se montrait curieux d’ouvrir un livre aussi malodorant. Vincent Revel accepte bien volontiers le qualificatif de « réac », mais en rapport avec le mot « réacteur ». Ainsi convient-il de qualifier cet exaltant premier roman. [/access]
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