Dans son nouveau roman, Pauline Clavière nous plonge dans les bas-fonds parisiens…
Pauline Clavière a opté, dans son second roman, pour la formule qui fait le succès des séries si prisées des téléspectateurs: au fil des saisons et des épisodes, des personnages dont chacun suit son itinéraire personnel se croisent, se rencontrent avant de se perdre de vue, parfois pour mieux se retrouver. Autant de tranches de vie. D’instantanés dont l’ensemble forme un véritable puzzle peu à peu reconstitué. Un patchwork dont le protagoniste principal, Max, un détenu qui a fini de purger sa peine de prison, constitue le fil conducteur. Il figurait déjà, du reste, dans un premier roman.
Autour de lui, marginaux, dealers, délinquants divers, migrants sans papiers. Toute une faune interlope. Et puis directeurs de prisons et magistrats, certains malades voire suicidaires. Des hommes politiques prompts à abuser de leur pouvoir, tel ce ministre accusé de viol. Tout ce petit monde évolue dans un Paris dont les bas-fonds, évoqués avec un luxe de précisions, offrent une photo en négatif de la Ville Lumière. Celle-ci, parcourue en tous sens, joue, dans l’intrigue, le rôle d’un personnage à part entière. Les héros – si l’on peut, en l’occurrence, user de ce terme ! – sont à l’unisson du décor où ils évoluent. Une société underground, pittoresque à sa manière, dont les agissements sont narrés avec un grand souci de réalisme. Du Zola poussé au paroxysme. L’illustration du vérisme dans toute sa crudité.
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Comme l’action se situe sous le règne de Macron Ier, durant la Coupe du monde de football remportée par les Bleus en 2018, les allusions à l’actualité ne sont pas absentes du récit. Insécurité, défaillances de la justice et du système carcéral, agressions sexuelles contre les femmes qui osent, enfin, relever la tête, bref, toute la lyre. Simple constat d’une société en déliquescence ? Plaidoyer pour tous les laissés pour compte d’un système à bout de souffle ? Réquisitoire contre un régime politique impuissant à régler les problèmes sociaux ? Difficile d’en décider de façon sûre. L’ambiguïté du titre, allusion possible au Paradis perdu, poème épique de John Milton, ajoute encore à la perplexité.
Une seule certitude, le récit reste prenant de bout en bout, car la romancière connaît l’art de développer une intrigue, de la mener à son terme en préservant son suspense. Certes, un Barbey d’Aurevilly lui eût, en son temps, reproché une certaine complaisance à se vautrer dans la fange des bas-fonds. À y patauger avec délices, fût-ce dans une langue empreinte d’oralité. Mais on mesure ce que la référence à ce censeur impitoyable, surnommé le Connétable des lettres, peut avoir de désuet. Voire de résolument réactionnaire, en nos temps de wokisme débridé. Soyons donc de notre temps. Emboîtons le pas à Pauline Clavière, suivons-la dans ses pérégrinations à travers ce que d’aucuns nomment les territoires perdus.
Tels sont, peut-être, les paradis gagnés, au terme de maintes luttes, par ses personnages. Et puis, en somme, Alfred Jarry, père de la pataphysique, ne postulait-il pas l’identité des contraires ?
Pauline Clavière, Les Paradis gagnés. Grasset, 396 p.
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