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Roman n.m. Œuvre d’imagination en prose

Le roman, c'est mieux que l'autobiographie


Roman n.m. Œuvre d’imagination en prose
L'écrivain Jim Harrison, Paris, 2004. SIPA/BALTEL. Feature Reference: 00499301_000007

Yohann Elmaleh défend les droits imprescriptibles du roman face à l’inflation autobiographique.


« Quelle est la part autobiographique de votre livre, Madame ? Monsieur ? » La traîtresse question tourne en boucle à longueur d’ondes, plateaux télé, interviews pieuses, sorties bling-bling, papiers fameux à la rubrique : « Roman ».

L’arnaque du « Moi-Je »

Il nous faut à tout prix dénoncer cette arnaque du « Moi-Je » businessman. Greffer du fabuleux dans l’Offre ; de l’enchantement dans la Demande. Et pas plus tard que tout de suite. Notre affaire urge, menace… Je m’y risque ! Par définition, un roman est une fiction, aux trames : fictives. Pas d’auto-craques, d’auto-bio-truc. Moi-je ! Moi-je ! Très très tragique : inceste, mère seule, victime de school, violences, frère mort… Chacun sa vie !

« Œuvre d’imagination en prose », dit Le Grand Robert, moins bête que Google, plus grand que Duras. Avec tout ce qu’on leur propose pour déverser leur flotte intime – mémoires, journaux, correspondances, scénars, séries, biopics, cinoche –, ils veulent en plus pourrir le Genre. « Rôôman Pèèrsôônnel ! », ils chevrotent… « Triple identitêêê ! », ils béguètent… Auteur. Narrateur. Personnage. Tous également fondus ensemble ! Sujet, verbe, complément, virgule ; un point pathétique pour conclure. « Ô pauvre enfant ! Quelle vie… Quelle femme… » La ménagère égoutte son fard… Tant qu’elle fiche une tronche sur la plume, tout le monde y gagne : ISBN, auteurs-stars, libraires, TNT… La maison imprimante avec ! Le cercle vertueux littéraire ! Le divan douillet pour l’audimat !

Le style engendre l’histoire

« Œuvre d’imagination en prose »… Ce que j’en comprends, moi, de ce principe, en contemplateur assidu des narrations supérieures : c’est l’art de la fabulation. C’est la similitude des âmes, plutôt que l’identité des « Moi ». C’est la translation des humeurs, mieux que l’affinité des trames. C’est le style engendrant l’histoire, tout comme l’ego produit ses faits… ambiances, délires, O2 palpable… Le grand flou du cœur rendu visible. Tout l’innommé clair, distinguable. Les émotions traduites blabla !…

Car en soi qu’est-ce donc que le style, sinon le jaillissement graphique de toutes ces humeurs qui font l’âme ? Une seule méthode, un seul métier : mille apparences pour un seul cœur. Faire de son narrateur un autre dans la forme ; un même dans le fond. Créer un monde, un univers, une vision pour nous autres, modernes ! Réincarner la langue, l’époque, extraire du siècle l’intemporel… Varier ses tchiiip, décors, trois points, via des mots qui se prennent pour la vie…

Sans quoi le rôôôman, sous les décombres, rendra l’Esprit. Derniers soupirs…



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est romancier.

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