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Romain Gary, l’enfance d’un chef immortel

Une enquête romanesque de François-Henri Désérable


Romain Gary, l’enfance d’un chef immortel
Romain Gary. Sipa.

François-Henri Désérable est le genre de garçon que l’on voit venir de loin. Il a un nom d’écrivain, il est jeune, beau, brillant, il fait la conquête de la critique et des lectrices, et même les correcteurs automatiques de traitement de texte corrigent son patronyme en « désirable ».

Ouf, pas de biopic!

Pour couronner le tout, dans son nouveau roman, il s’attaque à un maître, un prince, Romain Gary, et son Un certain M. Piekielny promet d’être une de ces exofictions à la mode autour d’un sujet pointu, un détail de La Promesse de l’Aube et grave, l’extermination des Juifs de l’Est dans les années 1940.

À propos d’exofictions ou autres « biopics » imaginés, une légère lassitude commence à poindre. Comme s’il n’y avait plus de sujet, les auteurs vont chercher de quoi écrire sur le dos des anciens, grattent la surface, découvrent un aspect, un personnage, une inflexion auxquels personne ne prêtait attention, et c’est parti pour trois cent pages de « je me suis tellement identifié(e) au sujet que vous comprendrez, lecteurs, pourquoi je passe mon temps à m’y comparer avantageusement »… J’exagère. Et c’est faire pire qu’un mauvais procès à Désérable.

Gary à la table de Kennedy

Au chapitre VII du roman de Gary, on croise effectivement une « souris triste », un homme à la barbe roussie par le tabac, qui souffle au jeune Roman Kacew, promis à un si brillant avenir par sa mère juive, cette requête : « Quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire : au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Piekielny… »

À Wilno, devenue Vilnius, l’auteur compulse les archives, explore les arrières-cours, les vestiges de la culture ashkénaze « d’avant », il suit même les traces de Gary aux tables des puissants, chez Kennedy et chez Pivot. La phrase semble avoir été prononcée, Piekielny semble bien avoir été évoqué, mais n’a laissé aucune trace, au n°16 de la rue Grande-Pohulanka. Il n’est pas certifié mort dans une chambre à gaz, ni dans un des deux ghettos de la ville, il est introuvable.

Piekielny n’existe pas

C’est là que l’écrivain doute, balance ses feuilles froissées à travers la pièce et regarde la pluie tomber en se disant qu’il est mauvais. C’est là que le mauvais écrivain décide que, tant pis, il parlera de lui-même à la place. C’est là que Désérable, au style sautillant et classieux, transforme l’essai.

Il n’y avait de Piekielny que dans l’esprit joueur de Gary. Bon. Tant pis pour l’enquête de voisinage. Gary était connu pour ses travestissements et pour ses arrangements avec la vérité, alors un mensonge de plus… Que personne ne remarquerait probablement…

« Piekielny », en polonais, cela veut dire « infernal ». C’était, apprend l’enquêteur malheureux, un surnom antithétique donné par les voisins de cette souris triste, pour souligner à quel point elle était peu tapageuse et malveillante.

Un mensonge un peu pompeux

Si Gary a glissé cette promesse, cette prophétie, au chapitre VII de La Promesse, c’est peut-être au lecteur (de Gary et de Désérable) de choisir pourquoi. Simple mensonge un peu pompeux. Hommage en tonitruant silence à tous les Juifs de Wilno décimés. Avatar de lui-même, déjà ? Ou clin d’oeil diabolique, au sens propre, à ce qui fait l’essence du génie. Amener avec soi, auprès de tous les rois du monde, une souris triste de Wilno, seule la langue, les mots, la littérature possède ce pouvoir.

Un certain M. Piekielny est une enquête qui livre dès le début ses conclusions. En 2017, un jeune homme brillant et passionné entraîne ses lecteurs avec lui sur les traces d’une âme morte immortelle. Au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, a vécu la littérature.

François-Henri Désirable, Un certain M. Piekielny, Gallimard, 2017.

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étudie la sophistique de Protagoras à Heidegger. Elle a publié début 2015 un récit chez L'Editeur, Une Liaison dangereuse.

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