« Il jouait tout seul au Monopoly », c’est l’une des premières choses que l’on apprend au sujet de Roland, décédé une semaine auparavant, retrouvé la tête dans la gamelle du chien et fan irréductible de Mireille Mathieu. Roland était employé de nuit comme trieur de courrier, c’est son supérieur qui, le voyant manquer à son poste, a signalé sa disparition. Heureusement qu’il n’était pas encore à la retraite, il aurait pu rester comme ça longtemps ; mais il y était presque, il est mort si près du but.
Un voisin accro aux films X
Son voisin raconte son histoire, si tant est que Roland ait eu une histoire, une existence qui intéresse qui que ce soit. Nous sommes, en fait, plongés en pleine médiocrité acide – mais stérile. Le voisin est accro aux films X, s’est fait quitter par la femme de sa vie, virer de son travail, a pris de la bedaine et des habitudes d’alcoolique. Lorsque Roland meurt, il hérite de son caniche, pompeusement baptisé Mireille, et de l’urne premier prix contenant ses cendres. Commence alors pour lui une espèce de sortie des limbes de la dépression légère, une rédemption menée à la baguette par la masseuse coréenne de Roland, Chantal, coupe au bol et revendications féministes et diététiques en bandoulière.
Le voyage s’achève sur une plage de Dieppe, à l’aube, alors que le trio s’apprête à disperser clandestinement les cendres de Roland dans la mer, et que le voisin-narrateur porteur de l’urne se prend les pieds dans les galets. Le jour se lève, la marée monte et emporte en même temps que les cendres les soucis du quotidien, la Coréenne dit « bonjour » en coréen et pose sa tête sur l’épaule du voisin : générique de fin.
Comment (un peu) galvauder un bon sujet
Nicolas Robin tenait pourtant un bon sujet : une histoire qui parle à tout le monde, parce que nous avons tous un voisin dont on ne sait rien et qui parle à son chien, et un autre misérable, chômeur et alcoolique, qu’on évite de croiser – quand nous ne faisons pas partie d’une de ces deux catégories. Le problème est justement que nous connaissons tous la chanson. Et qu’à vouloir peindre la médiocrité ambiante qui se sent tout à coup pousser des ailes, on en arrive à un conte de fées improbable. Roland est mort est pourtant jalonné de portraits réalistes – et hilarants – que l’on croirait échappés de la série des Curriculum Vitae de notre ami Pierre Lamalattie. Voisine en gilet mauve et espadrille qui adore les mauvaises nouvelles, caissière psychologue jugeant les clients au contenu de leur caddie, grand-mère sénile, mère préparant des assiettes de crudités, sœur cadette hystérique, amis de lycée pères de famille portant leur progéniture comme des kangourous, piliers de bar, travestis… Tout est là, et bien dit.
Il lui manque une sortie de route, une vraie. Un tour de magie plus magique encore qu’à Hollywood, et que peut et pourra toujours réaliser la littérature. Une manière de sublimer la vie de Monsieur tout le monde autrement qu’en la racontant sur un style grinçant, qui est devenu le ton de la petite voix intérieure la mieux partagée du monde.
Roland est mort, Nicolas Robin, Ed. Anne Carrière, 2016.
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