Le billet du vaurien Roland Jaccard
J’ai rêvé cette nuit de passionnantes disputes philosophiques entre Malebranche et mon ami Marcel Conche. Il ne m’en restait que des bribes à mon réveil. J’avais atteint un sommet. Pour aussitôt replonger dans la médiocrité.
Un rêve de Cioran : il supprime un à un tous les mots de son vocabulaire. Après ce massacre, il ne reste plus qu’un rescapé : SOLITUDE. Il se réveille comblé. Ce n’est pas un rêve, c’est ce que je vis. Et, franchement, je suis tout sauf comblé. Parfois, une jeune fille me rejoint sous la couette. Une accalmie. Jamais pour bien longtemps. Peut-être eût-il mieux valu qu’elle ne vînt jamais.
La première question à se poser face à une femme : est-elle mythomane ou nymphomane. La réponse ne tarde jamais : les deux. J’ai toujours eu un faible pour les solitaires et plus encore pour les suicidaires. Elles au moins ont banni le mensonge et compris que leur vocation n’est pas d’être une esclave au service de l’espèce.
Il n’y a qu’une recette pour protéger sa solitude : savoir se rendre odieux. Je crois n’avoir pas démérité en la matière.
Cioran raconte – peut-être l’ai-je rêvé – qu’un moine d’Égypte, après quinze ans de solitude complète, reçut de ses parents et de ses amis tout un paquet de lettres. Il ne les ouvrit pas, il les jeta au feu pour échapper à l’agression des souvenirs. Il convient de s’évader de sa propre histoire. Celui qui n’a brisé aucun lien est un esclave qui mérite d’être traité comme tel.
Idéalement, il conviendrait de blesser tout le monde. À commencer par ceux que l’on aime. C’est relativement facile : il suffit d’être franc avec eux. Ainsi, on sauvegarde sa solitude, on fait enfin le Vide. Le gouffre est là qui nous attend. Je me demande encore pourquoi je recule….il faudra que je pose la question à Malebranche ou à Marcel Conche qui arrive allègrement à cent ans.
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