Que ce soit dans ses essais, ses recueils d’aphorismes ou ses écrits intimes, Roland Jaccard manie comme personne une ironie fine et coupante qui est la marque d’un esprit à la fois érudit et allergique à toute scolastique. S’il arrive que son nombril lui flanque des vertiges, il les dissipe aussitôt par des exercices d’autodénigrement − un remède que lui a transmis son ami Cioran. Inutile de préciser que les doctes de tout poil snobent cet universitaire buissonnier titulaire à vie d’une chaire de nihilisme à l’étage du café de Flore. Mais inutile de dire également qu’il fait les délices des amateurs de sarcasmes et de style. Abonné depuis toujours à ses livres, j’en ai fait quant à moi un maître de désinvolture.[access capability= »lire_inedits »]
Les Presses universitaires de France viennent de rééditer en un volume La Tentation nihiliste et Le Cimetière de la morale. Publiés à six ans d’écart − 1989-1995 −, les deux essais se suivent dans le propos et l’intention. Roland Jaccard nous munit d’un guide grâce auquel nous pouvons flâner dans la galerie du Néant où sont accrochés les portraits de Schopenhauer, Leopardi, Stirner, Amiel, Freud, Schnitzler, Rabbe, Challemel-Lacour, Panizza, Nietzsche, Rée, Lou Salomé, Sissi, Barbelion, Bierce, Altenberg, Klima, Dazaï, Zweig, Hedayat, Connolly, Giauque, Zorn, Louise Brooks, Cioran. En nous posant devant chacun d’eux, le charme opère sans tarder − ce charme puissant propre aux « destructeurs d’illusions », selon le mot de Wittgenstein, qui nous inocule la manie de ricaner des idéaux.
Bien sûr, tout le monde ne peut pas lire les livres de Roland Jaccard. « On refuse au nihiliste le titre de philosophe […], écrit-il: le philosophe doit être le phare de l’humanité, et l’on ne conçoit pas que ce phare puisse éclairer un charnier ou, pis, une mer d’insignifiance. » Restent ceux que la tyrannie morale de l’indignation déprime. Ils trouveront un vif plaisir, et donc un réconfort dans ce dictionnaire amoureux et élégant de la négation.
La Tentation nihiliste, suivi de Le Cimetière de la morale, de Roland Jaccard (PUF).[/access]
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !