Avec Le Monde d’avant, monumental journal intime, Roland Jaccard nous plonge dans le Paris des années 1980, le sien, et donne à voir une époque où une certaine liberté d’être et de penser connaissait ses derniers feux. Un témoignage irremplaçable.
De 1983 à 1988 a vécu à Paris un homme libre, c’est-à-dire un homme tel que Nietzsche les décrivait dans un aphorisme d’Humain, trop humain : « Tous les hommes se divisent, et en tout temps et de nos jours, en esclaves et libres ; car celui qui n’a pas les deux tiers de sa journée pour lui-même est esclave, qu’il soit d’ailleurs ce qu’il veut : politique, marchand, fonctionnaire, érudit. » Cela tombe bien, notre homme n’est ni politique, ni marchand, ni fonctionnaire. Érudit, sans doute, même s’il s’en défendrait avec désinvolture : il préfère l’eau et le soleil, les promenades dans les jardins du Luxembourg, les heures de lecture aux terrasses des cafés de Saint-Germain, les conversations, l’amour, autant de plaisirs simples qu’il sait transformer, par la magie de sa disponibilité, en un luxe insensé : celui d’une oisiveté heureuse, l’otium des Romains, cette paresse féconde opposée au negotium, c’est-à-dire littéralement les activités
