Roland, c’était mieux avant?


Roland, c’était mieux avant?

En 1981, William Klein tourne « The French », un documentaire sur Roland-Garros. Quinze jours à l’intérieur de la Porte d’Auteuil. Sa caméra foule la terre battue des Internationaux de France avant et pendant le tournoi. Les courts, les vestiaires, les soirées, les tribunes, l’organisation, les joueurs, le public, un monde mis à nu ! Vous saurez tout sur la planète tennis à un moment où ce sport individuel était en train de gagner son offensive démocratique. Deux heures sans filtre, sans agents de sécurité, sans langue de bois et surtout sans commentaire moralisateur du réalisateur. Juste la parole brute des acteurs de ce spectacle qui serait bientôt mondialisé. La balle jaune allait tout rafler sur son passage au cours des années 80. Souvenez-vous de cette époque charnière où les équipementiers, les télés et toutes les municipalités misaient sur le tennis comme on parie en bourse.

Au cours de cette décennie flamboyante, chaque commune se dotera d’un court en quick, d’un club loi 1901 et d’un indispensable Pop Lob (lance-balles automatique) espérant qu’un petit Lendl, Borg, Connors ou Noah fassent vibrer notre terroir et chanter nos campagnes. La Fédération se frottait les mains, les licenciés accouraient par milliers et les sponsors faisaient le pied de grue dans l’espoir de signer de juteux contrats. La « bulle tennis » était en apesanteur, il fallait la presser au maximum. Pour les nostalgiques du jeu ample, esthètes du beau geste, mélomanes des cordages en boyaux naturels, « The French » est un pur bijou de régression mentale. Adeptes des raquettes en bois et tamis riquiqui, vous serez aux anges. Ces images ont bercé notre jeunesse, ont façonné notre destin aussi. Chris Evert en jupette de secrétaire de direction, Nastase, le tombeur de Bucarest, faisant du gringue dans un numéro de charme désopilant, Tiriak impassible dans sa moustache de Sergent Garcia, McEnroe contestant chaque point, Jacques Dorfmann, le juge-arbitre pondérant la colère de l’Américain et Philippe Chatrier, le boss en costard rayé, s’assurant que tout son barnum fonctionne. Le tennis de papa avec toute sa mythologie : les bobs Europe 1, le ballet de Citroën CX transportant les personnalités, Pecci et sa boucle d’oreille, Panatta et sa mine contrite, Tulasne et Leconte en minots du Grand Chelem et puis, notre star national, Yannick pas encore couronné mais déjà couvé par Jean-Paul Loth, Patrice Hagelauer et Arthur Ashe. Sans oublier, Lino Ventura en spectateur avisé, la classe à l’italienne qui passe sous l’œil de Klein. On jubile.

L’année dernière, Géraldine Maillet a refait le match en appliquant la méthode Klein : poser la caméra et laisser tourner. Dans un mimétisme romantique, son film « In the French » interroge actuels et anciens joueurs sur un tennis devenu hautement professionnel. « On a coupé le son » se lamente Yannick, déplorant que le jeu ait perdu au fil des années son élan artistique et une certaine variété. L’argent, le règlement, la pression, les enjeux colossaux en somme, ont fait naître un autre tennis. Verrait-on aujourd’hui un Nishikori s’acharner sur un arbitre à la manière de Big McEnroe, le pourrir sans se faire exclure dans la seconde du circuit ATP ? Les marques veillent au grain.

Alors, oui Wawrinka n’a pas le charme de Vilas, Federer la désinvolture de Nastase ou Nadal, la liberté de parole de Yannick ? Mais, si l’on ne se laisse pas emporter par ses sentiments, la différence entre l’édition 1981 et 2015 est minime. Rien ne change à Paris. On scrute la météo, les ramasseurs (les plus affutés) chahutent en coulisses, le public (passionnés ou invités) s’emballe durant les grandes rencontres et les opérations de com’/marketing ont toujours existé. McEnroe vantait le dernier appareil photographique Canon et Borg entrait sur le Central comme une rock-star. Le président Gachassin et l’académicien Dabadie rigolaient déjà ensemble en 1981. C’est rassurant aussi de voir que chaque année, Jean-Paul Belmondo et Charles Gérard sont de la partie. Le spectacle est peut-être plus calibré, ça pousse moins à l’entrée du stade, mais le jeu est là ! Plus rapide, plus physique et pas moins enthousiasmant.

 « The French » (1981) et « In the French ». Edition collector 2 DVD – FNAC Exclusivité.



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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