L’ancien chanteur et bassiste des Pink Floyd accuse ses détracteurs de mauvaise foi, après son concert berlinois. Entre critique politique légitime et mises en scènes polémiques, Causeur fait le point sur ce qui peut être reproché ou non à l’artiste. La “radicalisation” de Roger Waters ne date pas d’hier; il est hostile à Israël de longue date.
La scène a eu lieu le 17 mai à Berlin, et fait depuis couler beaucoup d’encre. Long manteau en cuir noir, lunettes noires, cravate noire, chemise noire et brassard rouge, Roger Waters, ancien de Pink Floyd, dégaine son fusil en plastique et tire à vue. En lettres rouges sur un écran, le nom d’Anne Frank, mais aussi celui de Shireen Abu Akleh, cette journaliste palestino-américaine de la chaîne Al Jazeera tuée lors d’un raid israélien en mai 2022. La tournée This Is Not A Drill suscite l’émotion outre-Rhin, où malgré les tentatives d’interdiction des principales villes du pays, le chanteur a pu se produire.
Un long cheminement vers le grand n’importe quoi
Ce n’est pas la première provocation de Roger Waters. Depuis près de 20 ans, il a multiplié les prises de position hostiles à l’égard d’Israël. Alors qu’il doit faire un concert à Tel Aviv, en 2006, sa visite de la Cisjordanie le décide à déplacer l’événement dans un village fondé entre Jérusalem et Tel Aviv par des militants de la paix juifs et arabes. Tout d’abord, il refuse de boycotter totalement ses concerts en Israël, en précisant : « Je n’exclurais pas d’aller en Israël parce que je désapprouve la politique étrangère, pas plus que je ne refuserais de jouer au Royaume-Uni parce que je désapprouve la politique étrangère de Tony Blair ». Et puis, peu à peu, c’est la radicalisation. En 2013, il déclare son soutien au mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions et incite ses collègues chanteurs à ne plus se produire dans l’État hébreu. Comparaison avec l’Allemagne nazie[1] et le régime d’apartheid[2], cochon volant marqué d’une étoile de David déployé lors d’un concert [3], insinuations complotistes sur les « méthodes » israéliennes pour façonner l’opinion publique américaine : l’artiste bascule peu à peu dans le grand n’importe quoi. Heureusement, il ne s’intéresse pas qu’au conflit israélo-palestinien. En 2022, une semaine avant le début de l’offensive russe en Ukraine, il déclarait à Russia Today que la possibilité d’une attaque imminente de la Russie était « une connerie » et ajoutait « que quiconque a un QI supérieur à la température ambiante sait que [l’hypothèse d’une invasion] est absurde ». Depuis un bon moment, ses relations avec les anciens membres du groupe se sont curieusement quelque peu tendues.
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Évidemment, Roger Waters conteste le caractère antisémite de sa dernière mise en scène. Sur Twitter, il a précisé : « Mon récent concert à Berlin a généré des attaques de mauvaise foi de la part de ceux qui veulent me réduire au silence car ils sont en désaccord avec mes opinions politiques. Les aspects de mon concert qui ont été mis en cause constituent clairement un message contre le fascisme, l’injustice et le sectarisme sous toutes ses formes et toute tentative d’y voir autre chose est malhonnête ». Sur place, la police allemande a ouvert une enquête. Au sein de la communauté juive d’Allemagne, l’émotion est vive : « Quel est le sens de ces ‘Plus jamais ça’ des politiciens et des déclarations selon lesquelles l’antisémitisme n’a pas sa place en Allemagne, si des artistes égarés et des provocateurs ont tout le loisir de répandre sans restrictions leur haine des Juifs et d’Israël ? », déclarait le 22 mai la Conférence rabbinique orthodoxe d’Allemagne, dirigée par les rabbins Avichai Apel, Zsolt Balla et Yehuda Pushkin. « Il est absolument honteux qu’il ne soit pas possible, en Allemagne, d’interdire les concerts clairement antisémites et anti-israéliens de Roger Waters » poursuivaient les religieux.
Unique démocratie de la région
Les tentatives d’interdiction auprès des tribunaux allemands ont été contreproductives, et le chanteur se réfugie derrière l’équation « Juifs d’hier = Palestiniens d’aujourd’hui ». Rare État au monde apparu à la suite d’un vote des Nations Unies à la majorité qualifiée, Israël est pour autant un pays normal, comme tous les autres, et, à ce titre, peut faire l’objet de reproches. Société complexe, le pays est marqué par des contradictions internes, particulièrement vives ces derniers mois. En mars, l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut revenait, avec Frédéric Encel et Elie Barnavi, sur la réforme judiciaire qui menacerait de faire basculer Israël dans le bloc des démocraties illibérales – et les énormes manifestations qui la contestent depuis plusieurs semaines.
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On peut malgré tout rappeler à Roger Waters et à quelques égarés que, depuis 1948, les pays arabes se sont presque tous vidés de leur population juive, laquelle représentait près d’un million de personnes. Dans le même temps, Israël a accepté 1,3 million de musulmans devenus pleinement Israéliens, disposant de droits humains et sociaux que fort peu d’États arabo-musulmans accordent à leur propre population. En un mot, rappeler qu’au sein du Moyen-Orient, Israël est l’unique démocratie critiquable – parce qu’elle est toute seule.
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[1] A une question sur son boycott d’Israël, il répond en 2013 dans la revue américaine de gauche radicale Counterpunch: « I would not have played for the Vichy government in occupied France in the Second World War, I would not have played in Berlin either during this time ».
[2] Waters a qualifié Israël de « projet suprémaciste et colonialiste qui exploite un système d’apartheid », dans le magazine de rock Rolling Stones, en octobre 2022.
[3] voir Libération, 6 août 2013.
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