Rodolphe Bosselut est l’un des avocats des gendarmes mis en cause dans la mort d’Adama Traoré*. Il se félicite du non-lieu prononcé pour ses clients mais dénonce les contrevérités assénées par le clan Traoré. La haine propagée par ce dernier et ses alliés continue d’alimenter la pression médiatico-insoumise contre la police.
Causeur. Le 1er septembre, les juges d’instruction chargés de l’affaire Traoré ont rendu une ordonnance de non-lieu. Certes, l’affaire n’est pas finie, puisque la famille fait appel, jugeant que cette décision « déshonore l’institution judiciaire », mais on se demande pourquoi il a fallu sept ans pour en arriver là.
Rodolphe Bosselut. Le non-lieu est d’une logique implacable, dès lors que les gendarmes n’ont jamais été mis en examen du chef de violence et qu’ils n’étaient que témoins assistés du chef de non-assistance à personne en danger, s’agissant de leur comportement à partir du moment où Adama Traoré a eu son malaise à la brigade. Or, les éléments de ce non-lieu étaient présents dans le dossier quasiment dès le départ. Pour moi, ce retard s’explique par l’affaire médiatique, qui s’est déployée sans aucun rapport avec le dossier judiciaire.
Les juges ont-ils eu des consignes de leur hiérarchie pour mettre la pédale de frein ou ont-ils intériorisé le chantage à l’émeute ?
Je n’en sais rien. Une chose est sûre, dès le lendemain du décès, il y a eu des attaques et des pressions de la famille. Et depuis, c’est la même stratégie dans tous les dossiers de ce genre comme l’affaire Nahel ou la mort de jeunes dans des courses-poursuites avec la police après des refus d’obtempérer. La police est immédiatement mise en cause, de même que la justice, avant même que l’enquête commence. Dans le dossier Adama Traoré, le procureur de la République qui avait fait état des conclusions d’une première autopsie a été accusé de partialité et voué aux gémonies. Résultat, le dossier a été dépaysé de Pontoise à Paris et confié à un collège de trois juges d’instruction.
Donc, la justice a fait son boulot sérieusement ?
C’est le moins qu’on puisse dire. En sept années d’instruction, pas moins d’une dizaine de magistrats se sont succédé. Ils ont procédé à des investigations tous azimuts, produit un nombre de PV dantesque. Et chaque fois que le dossier était à deux doigts d’être clôturé, la famille déposait par exemple un « rapport-maison » demandé à des médecins consultés dans des conditions dont on ignore tout, mais qui disaient ce qu’elle voulait entendre, à savoir que les gendarmes avaient commis des violences. Ils ont même sollicité le médecin star des télés américaines qui, sans avoir jamais eu accès au dossier, a pondu une espèce de brouillon de trois pages pour raconter n’importe quoi, notamment que, dans la voiture, Adama Traoré aurait été en position allongée, ce qui ne ressort de rien. Tant qu’il n’y avait pas de non-lieu, le canal médiatique restait ouvert, on pouvait raconter que c’était un cas de violence policière prétendument systémique et de racisme tout aussi systémique.
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Est-ce que les parties civiles savent qu’elles déforment la vérité ?
Je ne me prononcerai pas. Assa Traoré a du charisme et de la présence, mais elle peut très bien s’auto-intoxiquer. Je comprends bien que la mort d’un proche soit insupportable, mais cela ne justifie pas de dire tout et n’importe quoi. En tout cas, elle a des vérités successives. Pendant longtemps, elle a raconté partout que les gendarmes avaient pesé de tout leur poids, soit 250 kilos, sur Adama Traoré pendant neuf minutes ! En réalité, il était allongé par terre, caché derrière un canapé et refusait de bouger. Les éléments objectifs du dossier prouvent que l’interpellation a duré une à deux minutes et le menottage, une poignée de secondes. Mais les médias ont propagé cette histoire de neuf minutes. Lors de leur dernière manifestation, après le jugement, qui a d’ailleurs fait un flop, elle a totalement changé de registre et brodé sur le thème : le danger est partout, on ne peut plus faire de vélo tranquillement, « mon frère est mort parce qu’il faisait du vélo ». On en est là.
Fait très exceptionnel, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, fait savoir publiquement qu’elle souhaite rencontrer Assa Traoré – sur demande du président, semble-t-il. Comment réagissez-vous en l’apprenant ?
On est alors au pic de l’exploitation médiatique de l’affaire. Nonobstant le contenu du dossier, nous sommes inaudibles, parce que l’institution judiciaire est prise en otage, avec la « complicité » du garde des Sceaux, ce qui met les juges eux-mêmes dans une situation infernale. La pression s’exerce au pied du Palais : la famille demande à être reçue au cours d’une manifestation monstre. D’ailleurs, ils se présenteront une autre fois à l’improviste pour être reçus avec un enregistreur caché… C’est du jamais-vu !
Le 25 mai 2020, George Floyd est tué à Minneapolis. Une petite musique qui fait d’Adama Traoré le Floyd français se fait entendre.
Cette tragédie donne des ailes au comité pour Adama. Christophe Castaner propose que des policiers mettent genou à terre et déclare, à l’occasion de cette manifestation interdite que « l’émotion dépasse les règles juridiques ». Assa Traoré publie une tribune modestement intitulée « J’accuse » où elle présente le cas de son frère comme l’erreur judiciaire du XXIe siècle. Elle met en cause, de façon nominative, tous ceux qui sont intervenus dans ce dossier : les magistrats (ceux du parquet et ceux du siège), les médecins experts, le Conseil de l’ordre, les enquêteurs, les gendarmes – tous ceux qui ne partagent pas sa vérité. C’est une pression, presque une menace, parfaitement explicite. Et quand avec mes confrères nous la poursuivons en diffamation pour avoir qualifié nos clients de tueurs, le tribunal, reprenant en quelque sorte la position du ministre de l’Intérieur, nous dit : « Oui, les propos sont diffamatoires, mais l’émotion permet de conclure à la bonne foi. » Je me mets à la place d’un juge d’instruction. Vous êtes dans la citadelle assiégée, avec tous les médias déchaînés qui tressent des louanges et des couronnes à une personne qui, à elle seule, est le camp du bien et on vous dit: « Attention, si vous ne rendez pas la décision que nous voulons, nous avons vos noms. »
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Un peu de courage ne nuit pas.
Il vient sur la durée.
On sait que les médias ont des biais idéologiques mais là, ils ignorent ou travestissent les faits. Sur les radios publiques, Assa Traoré, c’est la Vierge Marie.
Raison pour laquelle nous avons dû travailler sur le volet médiatique. Sur BFM, qui au début a vraiment servi la soupe à Assa Traoré, elle avait table ouverte pour raconter ce qu’elle voulait. Jamais on ne l’a mise face à ses contradictions, jamais elle n’a été en difficulté. Bien sûr, Causeur, Valeurs actuelles et d’autres ont très vite fait des articles informés et pertinents, mais la bascule a lieu quand Le Point, journal plus mainstream, révèle à la fois la réalité des faits, le contenu du dossier et le passé d’Adama Traoré – qui était sorti de prison un mois plus tôt. Des journalistes me disent alors : « Oui on savait tout ça. » Je leur demande pourquoi ils ne l’ont jamais écrit. Leur réponse : « On ne pouvait pas le dire. » À ce moment-là, certains médias me demandent de porter la contradiction face à Assa Traoré, mais ce n’est pas mon rôle d’avocat, c’est aux journalistes de faire leur boulot.
La présence de l’extrême gauche paillettes (Geoffroy de Lagasnerie et Édouard Louis) a-t-elle vraiment joué ?
Oui, ça a pesé. Ainsi lors du procès en diffamation, ils ont fait intervenir comme témoin Éric Fassin. Le sociologue Éric Fassin, ça en jette. Alors quand il prétend que l’affaire Traoré est le reflet des violences policières systémiques et du racisme systémique de la société française, on donne du crédit à sa position.
Ne pensez-vous pas que chez pas mal de journalistes, l’inculture, parfois la bêtise, a beaucoup joué ?
Bêtise je ne sais pas, mais panurgisme assurément. Récemment, au cours d’un entretien pour un hebdomadaire, le journaliste, qui était un jeune, me dit : « Vous ne pouvez pas dire qu’il n’y a pas de violence dans ce dossier. » Eh bien si je peux, et s’il avait un minimum travaillé, il l’aurait su. Mais leur communication a été si performante que ce dossier où il n’y a pas trace de violence policière est devenu le porte-étendard de la lutte contre les violences policières.
Est-ce que ça a pris tout de suite ?
La médiatisation commence le jour de la mort d’Adama, les émeutes, le lendemain. La rumeur, c’est que non seulement on a tué Adama, mais on a voulu cacher sa mort. Il est vrai que lorsqu’il meurt, le représentant du préfet a demandé aux gendarmes de surseoir à l’annonce, le temps qu’on mette du bleu dans les cités. Il s’est donc passé trois heures entre la mort et l’annonce officielle, trois heures qui alimentent tous les fantasmes. Au début, la famille racontait qu’on avait sauté à pieds joints sur la tête d’Adama Traoré pour le tuer. Plus tard, après la mort de George Floyd, j’ai vécu un grand moment de dinguerie. On m’expliquait que c’était une confirmation des violences dans mon dossier. Des journalistes m’appelaient : « Vous avez vu pour Floyd, neuf minutes le genou sur le cou… et les gendarmes, alors ? » Alors, les gendarmes quoi ? C’était quatre ans plus tôt, à 6 000 km, en quoi cela concernait-il mes clients ? J’ai repensé à l’affaire Baudis, lancée par un journaliste qui se targuait d’avoir le témoignage d’un témoin formidable : la prostituée, qui prétendait être tout à la fois la fille naturelle de Michael Jackson et de Charles d’Angleterre. Eh bien, nombre de journalistes à l’époque ne s’étaient pas posé de questions.
À commencer par le patron du Monde, Edwy Plenel, qui a fait sa une avec ce bidonnage. La gendarmerie a-t-elle soutenu ses hommes ?
Oui, absolument, pour l’institution militaire c’était un dossier emblématique. En revanche, ils n’ont pas voulu s’exprimer, à cause du devoir de réserve et du secret de l’instruction… Enfin, finalement, nous avons réussi à renverser la vapeur, parce qu’à un moment, la distorsion entre le réel et le récit médiatique était trop grande.
En effet, quand on a appris qu’un ex-codétenu d’Adama Traoré avait porté plainte contre lui parce qu’il l’avait obligé à lui faire des fellations en le menaçant de lui planter une fourchette dans la carotide, ça a un peu écorné son image…
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Et les réseaux sociaux sont entrés dans la danse en hystérisant tout. À l’époque, Assa Traoré organisait des pique-niques pour vendre ses T-shirts. Et sur les réseaux, on a vu apparaître des tas de blagues demandant s’il fallait venir avec sa fourchette. Il a même été publié la photo d’Adama Traoré avec une fourchette et l’inscription, comme dans le tableau de Magritte : « ceci n’est pas une pipe ». Je crois aussi que les appels à l’insurrection ont desservi la famille. Rappelez-vous, Assa Traoré proclamant : en Afrique, quand ça ne va pas, on prend le palais d’assaut. Ça a plu aux Insoumis qui veulent aussi l’émeute et l’insurrection, mais ça a refroidi beaucoup de gens.
Elle a quand même eu une demi-heure en majesté sur France Info le lendemain du jugement.
Oui, mais son heure de gloire est passée. Quant aux médias, je ne m’attends pas à des excuses. Peut-être certains admettront-ils qu’ils ont un peu dysfonctionné…
Ça, ce serait étonnant… Comment vont vos clients ? Ils ont été mutés ?
Une grande partie de la brigade a été mutée, car au cours des émeutes qui ont eu lieu après la mort, il y a eu des menaces très claires à l’encontre de tous les gendarmes de la brigade. Pour mes clients, ça a été très dur quand la presse les traitait de tueurs (même en ajoutant présumés). Certains journalistes suggèrent qu’ils auraient dû accepter d’être renvoyés devant une juridiction de jugement pour calmer le jeu et que la vérité éclate à l’audience. Je leur rétorquais : « Demain, votre épouse vous accuse de gestes déplacés sur vos enfants. Vous savez que c’est un mensonge, vous vous défendez, dans le cadre d’une instruction. Accepteriez vous d’aller devant le tribunal pour que votre femme soit contente ? » J’ai eu peu de candidats…
Cela dit, l’affaire judiciaire est loin d’être terminée…
Oui, il y a l’appel, la cassation, la CEDH. Et puis, il y a le tribunal médiatique et artistique. La famille a demandé à plusieurs reprises une reconstitution qui lui a été refusée de façon parfaitement argumentée. Assa Traoré a dit que ce n’était pas grave, qu’ils auraient quand même la reconstitution, parce qu’ils allaient faire un film avec Omar Sy. Puisque la réalité ne nous convient pas, on recourt à la fiction. Tout est dit. Cela dit, je serais très étonné qu’un tel film voie le jour.
*Les trois gendarmes ont été défendus par Me Bosselut, Me Pascal Rouiller et Me Sandra Chirac Kollarik.