Présenté au dernier festival de Cannes, le nouveau film de Jacques Doillon a été accueilli plutôt fraîchement. Il faut dire que le film ne répond pas forcément aux critères de la biographie filmée et qu’il s’inscrit tout logiquement dans l’œuvre d’un cinéaste à l’univers très personnel. Il convient cependant de dire que Rodin n’est pas sans défauts.
RODIN Bande Annonce (Cannes 2017) Vincent… par video-bandes-annonces
Et Cézanne baisa la main de Rodin
Tout d’abord, Doillon succombe parfois à un côté « musée Grévin » en aérant un récit qui se déroule essentiellement entre les quatre murs de l’atelier de l’artiste. Rodin se rend de temps en temps chez Mirbeau où il croise Monet et Cézanne sans que ces scènes apportent quelque chose de vraiment intéressant au propos. Au contraire, dans ces moments, le cinéaste se fait plus pesant, exaltant de manière un peu scolaire l’artiste incompris de ses contemporains. Le moment où Cézanne baise la main du sculpteur qui vient de lui conseiller de se consacrer exclusivement à son travail (« c’est le travail qui nous sauve ») est même assez ridicule.
Ensuite, Rodin souffre parfois de quelques effets pas très heureux mais nous allons y revenir. Car la grande force du film, c’est d’éviter constamment le moindre académisme. Doillon évite les pièges de la reconstitution poussiéreuse et se concentre essentiellement sur ce qui le passionne depuis toujours : l’acte créatif, la forme qui naît des corps et de la chair, l’intimité…
Caméra embarquée dans la barque
Si le sujet laissait augurer une biographie filmée en bonne et due forme, le cinéaste dynamite par sa mise en scène les conventions du genre. Prenons un exemple précis : la scène de barque semble être l’incontournable moment à tourner lorsqu’il est question du milieu artistique au temps de l’impressionnisme. Doillon n’y coupe pas mais embarque sa caméra dans la barque, évite les plans généraux tout en offrant au spectateur une très belle profondeur de champ et filme un dialogue entre Camille Claudel et Rodin en procédant à l’un de ces renversements d’axe dont il a le secret.
De manière générale, on ne trouvera ici quasiment aucun champ/contrechamp mais bel et bien cette manière qu’a Doillon de chorégraphier les déplacements de ses personnages dans le cadre, à l’image de ce moment où Rose et Rodin se cherchent dans l’appartement, se courent après, s’attrapent, s’étreignent, se repoussent… Enfin, même les dialogues sont exempts de tout académisme « d’époque ». Certains pourront d’ailleurs être agacés de retrouver le « langage Doillon » qui flirte parfois avec l’artifice mais le cinéaste ne cherche pas la vraisemblance, juste une sorte de vérité.
Trop d’effets tuent l’effet
D’un point de vue narratif, le film est aussi original puisque le récit n’est pas construit sur des ressorts dramatiques classiques. Doillon privilégie un entrechoquement de « blocs » et à l’instar de Rodin, cherche à modeler cette matière. Du coup, certains temps forts sont éludés de fort belle manière (le personnage de Camille Claudel qui disparaît assez abruptement) tandis que d’autres passages privilégient l’exacerbation des sentiments. On pourra alors regretter les effets un peu ratés évoqués plus haut dont use le cinéaste pour assembler ces « blocs », notamment cette surabondance de fondus au noir. Dans le même genre d’idée, le moment où Rodin s’apprête à passer de bons moments en compagnie de deux charmantes donzelles dévergondées aurait mérité une meilleure « coupe » que cette porte vitrée que l’on ferme au visage du spectateur !
Les enjeux de Rodin se trouvent néanmoins dans cette forme, dans cette obsession qu’a Doillon de tirer une vérité des corps, de la chair humaine. Les meilleurs moments du film sont ceux où le sculpteur se confronte directement à ses modèles et où le cinéaste cherche à modeler également de son côté ces corps nus.
Doillon ausculte la valse des corps
En ce sens, le film est le prolongement direct de Mes séances de lutte et une réflexion prolongée sur la manière dont l’idée s’incarne dans une forme, des corps… Chez Doillon, et c’est sans doute ce qui doit déplaire à une majorité de contemporains, il y a toujours quelque chose qui résiste et qui se situe au-delà de la psychologie ordinaire. Une scène magnifique montre Rodin et Camille Claudel séparés visuellement par une statue de la jeune femme (représentant une valse) et tentant de mettre des mots sur leur couple qui se délite. Les mots qu’ils emploient sont différents, les sentiments sont sans doute partagés mais ne parviennent plus à s’accorder, à l’image du déséquilibre magnifique sur lequel est construite la sculpture. A travers ce couple fameux, Doillon ausculte une fois de plus l’intimité, le piège des mots et la valse des corps qui s’étreignent et se repoussent.
Peut-être qu’en choisissant de s’intéresser à un personnage célèbre, le cinéaste succombe de temps en temps à la volonté d’en dire trop, notamment lorsqu’il évoque la place de l’artiste dans la société, la notoriété… Néanmoins, on aurait tort de balayer d’un revers de main ce beau film qui se termine par un superbe épilogue montrant à la fois la pérennité de l’Art et son caractère somme toute dérisoire…
Lindon en retrait
Mais je m’aperçois que je n’ai rien dit de l’interprétation qui est pourtant l’un des points forts du film. Doillon parvient à la fois à faire oublier le caractère écrasant des personnages qu’il met en scène (sauf lorsqu’il convoque les silhouettes de son « musée Grévin ») et à éviter les « performances » d’acteur. A ce titre, Vincent Lindon est très bien car en retrait, jamais dans le désir d’en mettre « plein la vue ». Idem pour la ravissante Izïa Higelin et la minérale Séverine Caneele qu’on est ravi de revoir sur un écran. Sa présence et certains plans (une magnifique vue de la cathédrale de Chartres) tendraient même à prouver que Doillon a, cette fois, lorgné un peu du côté de Dumont, délaissant partiellement le psychodrame pour retrouver la terre et la minéralité des corps…
Rodin (2017) de Jacques Doillon avec Vincent Lindon, Izïa Higelin, Séverine Caneele – en salle depuis le 24 mai
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