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De Rodenbach à Jean Ray, ce que nous devons à la littérature belge

Trois romans aux éditions Névrosée


De Rodenbach à Jean Ray, ce que nous devons à la littérature belge
L'écrivain Georges Rodenbach (1855-1898) © SIPA / Numéro de reportage : 51001021_000001

 


Une nouvelle maison d’édition belge propose de redécouvrir des classiques d’hier et d’aujourd’hui


Après Le Petit Arménien (Pierre-Guillaume de Roux) sur une enfance de fils d’émigré dans « la Belgique de papa » », après un succulent Dictionnaire de gastronomie & de cuisine belges (Rouergue), Jean-Baptiste Baronian revient par la grâce d’une jeune maison d’édition installée à Bruxelles et qui porte un nom quelque peu singulier, Névrosée. La fondatrice, Sara Dombret, entend rééditer d’une part des femmes écrivains parfois oubliées, comme Madeleine Bourdouxhe, de l’autre des auteurs qu’elle appelle « sous-exposés ». 

Il est vrai que, dans la Patrie des Arts et de la Pensée, les écrivains, même vivants, ne jouissent pas d’une visibilité excessive (euphémisme). N’est-ce pas Charles De Coster, immortel auteur de La Légende d’Ulenspiegel (1867) qui disait que, dans ce pays, « il faut baiser le sabot de l’âne » ? 

Sara Dombret veut défendre un héritage littéraire ; elle fait sienne, non sans crânerie, la sentence d’un de nos excellents écrivains, l’auteur du sublime Voyage d’hiver (L’Age d’Homme), Charles Bertin : « Il n’y a nulle contradiction entre l’enracinement et l’ouverture au monde ».

Bref, les éditions Névrosée s’attellent à sortir de l’oubli des œuvres d’écrivains belges, femelles ou mâles, préfacées non par de pâteux « sociologues de la littérature », mais par des écrivains, d’authentiques lettrés, qui savent et lire et saluer leurs confrères. Ce que fait avec brio le confrère Luc Dellisse, qui présente Lord John, sans doute le meilleur roman de Jean-Baptiste Baronian, publié pour la première fois dans les années quatre-vingts. Il a, Luc Dellisse, mille fois raison quand il parle du « charme vibrant » de ce roman d’apprentissage, dont le héros, Alexandre, fils d’un bouquiniste du vieux Bruxelles (dont le modèle pourrait bien être le célèbre Henri Mercier, de la librairie La Proue, sise rue des Eperonniers), dix-huit ans, va, en l’espace de quelques jours, connaître le chagrin, le désir et une forme de libération par le truchement de la lecture.

En effet, Alexandre découvre en vidant un grenier la collection complète des Aventures d’Harry Dickson, le Sherlock Holmes américain, 178 fascicules kitsch de littérature populaire, sans nom d’auteur et aux titres abracadabrants : Le Vampyre aux yeux rouges, Le Grand Chalababa, Le Dancing de l’épouvante, sans oublier, le plus rare, Marabout fantastique

Au fil de ses recherches, entre la salle des soins intensifs où agonise son père (coma éthylique) et les impasses du vieux Gand, où se tapit un oncle légendaire aux divers pseudonymes (il aurait été pirate dans les mers chaudes, escroc à Amsterdam, écrivain à Paris), Alexandre entre dans l’âge adulte, non sans douleur. Dans un style proche de l’oralité et avec un sens aigu du grotesque, voire du sordide urbain, Baronian y évoque le Bruxelles des années 60, l’adolescence haïe et regrettée, les librairies et leurs clients parfois pittoresques, et, last but not least, l’étrange figure du maître de notre littérature fantastique – John Flanders alias Jean Ray.

Jean-Baptiste Baronian, Lord John, Névrosée, 214 pages, 16€

Rodenbach, carillonneur fin-de-siècle

Parmi les « sous-exposés », Névrosée réédite un authentique chef-d’œuvre des lettres de langue française, Le Carillonneur, de Georges Rodenbach (1855-1898). L’auteur du célébrissime Bruges-la-Morte (1892), ami de Mirbeau et des Goncourt, y évoque le tragique destin d’un architecte brugeois, Joris B., qui, par amour pour sa ville, en devient le carillonneur attitré. Nous le suivons dans ses amours complexes, entre deux sœurs bien différentes, la sensuelle et la méditative et l’observons en train de céder à la luxure. 

Le préfacier, Frédéric Saenen, trace parfaitement le portrait de l’auteur et de son temps ainsi que la place du roman dans les Lettres françaises en tant qu’expression francophone, et dans quelle langue subtile et raffinée, d’un imaginaire et d’un héritage flamands. Il y décèle les influences de Bloy et d’Huysmans. Toute l’ambivalence « belgique » (ici pris comme adjectif, à l’ancienne), une histoire pluriséculaire (par exemple la vieille rivalité entre Flandre et Brabant, entre Bruges et Anvers ; ou encore la naissance du mouvement autonomiste flamand), une richesse peu commune font de ce Carillonneur un grand livre méconnu.

Georges Rodenbach, Le Carillonneur, Névrosée, 324 pages, 16€

Une improbable station balnéaire

Névrosée réédite aussi Le Cloître de sable, de Jacques Cels (1956-2018), mort trop tôt, sans doute de n’avoir pas été reconnu à sa juste mesure. 

Roman étrange rédigé dans une langue soignée, ce Cloître se situe dans une improbable station balnéaire, espace indéterminé où, au contraire de chez Baronian & Rodenbach, est niée avec méthode jusqu’à la plus infime once de caractère local. 

Singulière construction, quasi théâtrale, tour à tour séduisante et un tantinet agaçante, livre tiré au cordeau avec le zèle du professeur de lettres, Le Cloître de sable m’intéresse pour ses évidentes qualités, sans me séduire. Il faut toutefois saluer l’artiste disparu, qui écrivit « avec son sang » et dont la voix ne fut pas écoutée. La belle préface d’André Possot est un modèle d’intelligence et de fidélité. 

Jacques Cels, Le Cloître de sable, Névrosée, 326 pages, 16€

Bruges-la-Morte

Price: 6,80 €

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La Légende de Till Ulenspiegel

Price: 12,20 €

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Le voyage d'hiver

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Le petit arménien

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écrivain et critique littéraire belge. Dernier livre : Les Nobles Voyageurs (Le Nouvelle Librairie, 2023)

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