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Rocket to Russia

On n’entre pas dans un rapport de force en annonçant ce qu’on ne fera surtout pas, mais en laissant planer le doute


Rocket to Russia
Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin (ici photographié à Kazan le 22 février), a déclaré qu'en cas d'envoi de troupes occidentales en Ukraine, «dans ce cas, nous ne devrions pas parler de probabilité, mais d’inévitabilité» d'un conflit entre l'Alliance atlantique et la Russie © Kommersant/SIPA

Enfin, le monde libre déterre la hache de guerre de ce côté-ci de la planète. Enfin, les pacifistes à l’ouest ont compris le langage de Trump et de Poutine, et se sont mis à le parler. Enfin, notre chef semble avoir découvert qu’il a ce qu’il faut là où il faut pour engager le bras de fer qui oppose la vieille Europe à la brute du Kremlin.

Si tu veux la paix…

On a changé de ton, on ne passera plus des heures au téléphone avec Moscou pour essayer de faire entendre raison à Don Corléonovitch. À présent on tape du poing sur la table et le son produit est doux à mes oreilles. Finies les lignes rouges annoncées et les limites indépassables. Oubliées la « no flight zone », l’interdit des frappes en profondeurs, la timidité du non-belligérant, la prudence de celui qui refile des armes et qui ne s’en sert pas, la délicatesse teintée de trouille du gars qui ne veut surtout pas humilier l’ennemi, bref tout ce qu’on pourrait traduire dans la langue de l’héritier de Staline par : démonstrations de faiblesse. Désormais, on retrouve l’accent de Joe Biden quand il cause aux Ayatollahs et les prévient d’un seul mot lourd de menaces : Don’t.

En haut lieu, on a retrouvé la mémoire de l’adage antique « si vis pacem para bellum ». On a compris qu’on n’entre pas dans un rapport de force en annonçant ce qu’on ne fera surtout pas mais en laissant planer le doute sur ce qu’on fera peut-être. Résignés hier à voir l’Ukraine condamnée à négocier en position de faiblesse, à perdre les territoires conquis ou à disparaitre derrière un rideau de fer, comme hier Budapest, Prague ou Gdansk ; on retrouve aujourd’hui le sens du combat et l’esprit de résistance.

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Qu’est ce qui fait qu’au sommet de l’Etat, on change de discours ? Est-ce l’armée rouge qui avance, les hackers qui attaquent, l’opposant qu’on tue ou bien qu’on fait mourir, le FSB qui assassine sur le sol européen, les propagandistes pro-russes qui troublent nos élections ? Ou est-ce la menace de l’oncle Sam de ne plus voler à notre secours plusieurs fois par siècle comme au vingtième et son incitation à nous débrouiller au vingt et unième pour voler de nos propres ailes, à mach 2 et en rafale ? Est-ce l’agressivité de Poutine ou le coup de bluff de Trump ? Les deux mon général.

La chance historique de faire grandir l’Europe, ce nain politique, semble avoir été saisie et en sortant de ce conseil de guerre européen réuni lundi soir à Paris, en regardant vers l’est, on ne dit plus « jamais », on dit « peut-être ». On ne craint plus que Poutine perde et se fâche, on annonce qu’il ne gagnera pas et qu’il devra s’assoir sur ses velléités impériales. On se met en ordre de bataille, on s’unit, on fait savoir à l’ennemi qui croyait nous tenir avec son gaz et qui nous tétanisait avec son arsenal nucléaire qu’il est tombé sur un os, que les caves de l’occident décadent et féminisé se rebiffent. Jamais les mots « union européenne » n’auront sonné avec autant de panache. Jamais l’institution bureaucratique n’aura aussi bien rempli son rôle : défendre la civilisation européenne. Partout on resserre les rangs. Après la Finlande, la Suède entre dans l’OTAN. Contre le règne de la force, la civilisation du droit fait bloc, fait front et entend donner à Poutine la même leçon qu’au dictateur irakien : on ne change pas les frontières avec des chars.

Enthousiasme pas unanimement partagé

Sur le front on se bat à un obus contre dix ou douze. Les Ukrainiens nous disent qu’à un obus contre trois, ils repousseront les envahisseurs. Il n’y en avait plus et voilà qu’on en retrouve. L’Europe envisage d’en acheter en Turquie, en Afrique du Sud, en Corée du sud. Les Tchèques annoncent qu’avec un milliard, ils peuvent en fournir par centaines de millier. La seule qualité de l’armée rouge, c’est sa quantité. 140 millions de Russes contre 40 millions d’Ukrainiens qui ont choisi la liberté et qui ne demandent que des armes. La nouvelle donne et la livraison d’armes en quantité pourrait rétablir l’équilibre des forces. L’arrivée des avions de chasse aussi.

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Évidemment, les faiblesses inhérentes aux démocraties, les parlements à convaincre, les peuples à entrainer vont retarder l’heure de la victoire contre Popov 1er. On ne fera pas comme le regretté George Bush, obligé de mentir à son peuple pour aller casser la gueule à Saddam Hussein, parce qu’il parait que ce n’est pas beau de mentir, alors on va voir le braillomètre s’affoler. On en voit l’aiguille qui oscille de gauche à droite. Quelques heures à peine après le réveil viril de notre occident fatigué, les oppositions se sont déjà déshonorées. « Irresponsable » clament les uns. « Dangereux » braillent les autres. A gauche, on retrouve l’esprit du « plutôt rouge que mort ». A droite, on se croyait De Gaulle et on se découvre « Daladier ». Dans l’opinion, on ne va pas tarder à pleurnicher sur les conséquences d’un vrai soutien à l’Ukraine, sur les milliards engloutis qui vont manquer aux salaires des fonctionnaires ou au système de retraite, sur le prix du blé qui baisse et sur celui de la facture d’électricité qui augmente. On communiait hier autour de Manouchian entrant au Panthéon, on offrira demain le spectacle de Français applaudissant les signataires des accords de Munich.

J’ai envie de passer des coups de fil pour partager avec mes semblables la bonne nouvelle du retour de l’honneur et de l’espoir. Je me retiens. Comme souvent je crains que l’on modère mon enthousiasme ou plus simplement qu’on ne le partage pas. Je vais plutôt écouter un bon disque. J’attrape un Ramones pas au hasard. Pour l’occasion, je glisse dans ma platine le troisième album des rockers new yorkais : Rocket to Russia.

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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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