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Ted, le nouvel ami de mes voisins vignerons

Parmi les différentes tâches d'un viticulteur, le désherbage n'est pas la plus recherchée...


Ted, le nouvel ami de mes voisins vignerons
© Naio Technologies

Dans sa campagne, notre chroniqueur vient de croiser le premier robot viticole du village.


Le panneau indique : « Machine autonome en fonctionnement ici. Restez à l’écart ». Et au lieu du bavardage des vendangeuses, c’est le bourdonnement d’un robot qui se fait entendre.

Bienvenue dans le sud de la France, en 2024, juste à côté de chez moi, où, en promenant les chiens dans les vignes, je tombe sur Ted, un cultivateur compact, vert et blanc, doté d’une intelligence artificielle, alimenté par batterie et infatigable désherbeur.  

Ted travaille d’arrache-pied, enjambant les vignes et coupant les herbes mauves. Il n’est ni mignon ni amical. Il s’arrête net s’il rencontre un obstacle humain. Mais il est dévoué. Il ne s’arrête pas pour déjeuner et, à la fin de la journée, Fabien, son tuteur humain, le branche pour recharger ses batteries.  

Désherber sous les vignes, au lieu de les arroser de produits chimiques, est un travail fastidieux et exigeant. La précision est essentielle pour couper les mauvaises herbes sans endommager les vignes. Pour les producteurs biologiques, et les nombreux autres qui pratiquent une agriculture raisonnable, les herbicides sont interdits ou évités. C’est alors qu’entre en scène Ted, avec ses lames pour cultiver la terre et ses « doigts » flexibles pour s’attaquer aux mauvaises herbes, les arracher afin qu’elles puissent être replacées dans le sol.

Les vignerons ne rigolent plus

Parmi les différentes tâches d’un viticulteur, le désherbage n’est pas la plus recherchée. Mais Ted ne rechigne pas à ce travail, c’est même sa seule raison d’être. Ted a été fabriqué par Naïo technologies, une start-up française basée à l’ouest d’ici, près de Toulouse. Il s’agit d’un prototype et, au début, les vignerons se sont moqués. Mais le scepticisme est en train de disparaître. « C’est une transformation qui pourrait se produire rapidement », m’a dit Philippe, un viticulteur local. « Encore plus vite s’ils nous laissent installer des panneaux solaires et alors nous n’aurons même plus besoin d’acheter du diesel ».

Ted ronronne pendant six heures avant que sa batterie ne s’épuise, désherbant et cultivant.  Il compense en endurance ce qui lui manque en vitesse. Le champ – plus il est grand, mieux c’est – est cartographié à l’avance à l’aide d’un récepteur de positionnement, puis Ted se débrouille tout seul. 

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Il est admirablement discret. S’il n’y avait pas les panneaux d’avertissement obligatoires en matière de santé et de sécurité au bord des parcelles sur lesquelles il travaille, les passants ne se douteraient peut-être même pas de sa présence. Ted est plus discret qu’un tracteur, il est pratiquement silencieux et ne rejette pas de gazole nauséabond. 

Qu’est-ce qui ne plaît pas à Ted est une question dont la réponse est nuancée. Les agriculteurs se plaignent toujours, de tout, de la météo aux prix. Ils consomment des milliards de subventions et exigent constamment d’être protégés de la concurrence. Ils affirment avec raison que leur travail est éreintant et dangereux.  Ils exigent des congés et une assurance maladie pour s’adonner à des tâches abrutissantes, comme conduire des tracteurs climatisés dans des champs toute la journée. 

Est-il cynique de se demander si la robotique n’est pas l’occasion de se débarrasser de ces hommes et femmes perpétuellement ennuyés ? Remplacer les agriculteurs pleurnichards par l’intelligence artificielle semble être une bonne affaire. L’économie semble favoriser un remplacement rapide de ces agriculteurs turbulents.

Mais il est également vrai qu’il y a quelque chose à perdre ici, moins matériel, plus spirituel, en rompant un accord ancien entre les agriculteurs et les consommateurs pour le remplacer par l’IA.

Prenons par exemple le vin rouge moelleux produit par Pierre au coin de la rue, dont les raisins ont été cueillis à la main. Il ne piétine pas les raisins pieds nus. Il possède une centrifugeuse italienne hors de prix. Mais il joue du saxophone sur son jus en fermentation, alors qu’il repose dans ses cuves en acier inoxydable. Cela compte sûrement.  Je le vois bien se lancer dans un Ted, en fait. Même le vigneron biologique le plus dévoué finit par se lasser de cultiver et de désherber.

Les fruits de l’agriculture sont bien plus que des marchandises. Nous les mettons en bouche. Qu’il s’agisse de bœuf, de pain de maïs, d’olives, de fromage ou de vin, ce sont des produits consommables. Ted s’arrête-t-il là ? À quels algorithmes confierez-vous ce que vous mangez ?  Peut-être s’agira-t-il d’une croyance de luxe. Mais je ne suis pas sûr que le Château AI soit la tasse de thé de tout le monde.

Ted est le premier robot agricole à avoir atteint notre commune endormie, ce qui prouve à suffisance qu’il ne s’agit pas d’une révolution lointaine, mais qu’elle est sur le pas de la porte. L’ère de la machine pilotée par l’homme est révolue, les énormes machines à vendanger sont des mastodontes. Les robots récolteront bientôt le raisin et bientôt tout le reste. Il ne reste plus qu’à produire une machine pour tailler et former les vignes. Celle-ci ne tardera pas à arriver.

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Des entreprises de machines agricoles bien établies, comme John Deere et Kubota, et des start-ups spécialisées dans l’IA aux États-Unis, en Italie et en France se lancent sur le marché. Des robots cueillent déjà des fraises en Espagne. Sur YouTube, on peut voir la vidéo d’un robot israélien cueillant des pêches, presque comme un ballet.

On s’était dit rendez-vous dans mille ans

Le vin est la principale activité de mon village depuis 1 000 ans. Les Romains y produisaient du vin, une bouillie sirupeuse qui n’a pas grand-chose à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui, en utilisant des esclaves. Le Canal du Midi, au XVIIe siècle, a été le premier bond en avant pour la région et les premiers faux châteaux sont apparus. Il y avait 300 chevaux dans notre village lorsque le chemin de fer est arrivé au XVIIIe siècle, et les villageois se sont enrichis grâce aux exportations de vin ordinaire qui aurait été assez médiocre, mais plus sûr à boire que l’eau, la plupart du temps. Cette prospérité s’est arrêtée avec le phylloxéra qui a tué les vignes, puis la Grande Guerre, la dépression et à nouveau la guerre.  Les pieds noirs expulsés d’Algérie sont arrivés dans les années soixante, achetant terres et tracteurs.  Aujourd’hui, nous avons le TGV, les autoroutes et les aéroports. Plus récemment, des garagistes ambitieux sont arrivés, achetant des vignes, les convertissant à l’agriculture biologique, produisant des vins innovants et raffinés.  Nous sommes soudain devenus la Floride de l’Europe, avec du raisin.

Et maintenant, que se passe-t-il ? Est-ce la fin de la viticulture et de l’agriculture traditionnelles, le début d’une nouvelle ère qui élimine les agriculteurs et les remplace par des ingénieurs systèmes, chargés de faire fonctionner les robots ? Je pense que la résistance sera vaine. Les producteurs les plus grands et les plus riches seront les premiers à sauter le pas, et les petits producteurs de boutiques résisteront le plus longtemps, récoltant leurs raisins à la main jusqu’à ce qu’ils deviennent des curiosités nationales.

L’imminent Salon de l’agriculture à Paris, la spectaculaire vitrine annuelle de l’agriculture française, attirera cette année plus de robots agricoles que jamais, ce qui donne un avant-goût des choses à venir. À une époque où les agriculteurs semblent être devenus plus exigeants que jamais, il est inévitable que cette ancienne forme d’activité humaine, la production d’aliments et de boissons, tombe sous l’influence des robots et de l’IA.  

Ces moteurs permettront peut-être un jour d’éliminer ce qui rend l’agriculture si difficile, à savoir les agriculteurs eux-mêmes, mais à table, nous ne saurons peut-être pas ce que nous avons perdu avant qu’il n’y en ait plus.

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Jonathan Miller est un ancien conseiller municipal d'une ville du Sud de la France, il est correspondant français du "Spectator" londonien et l’auteur de "France : a Nation on the Verge of a Nervous Breakdown" (Gibson Square, 2015).

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