Livres en plein soleil


Livres en plein soleil

robert merle leo malet

À l’approche de l’été, les Français ont deux préoccupations : le barbecue (au charbon de bois, il va s’en dire, le reste n’est qu’enfumage) et la brocante. Si par bonheur, on peut réunir ces deux passions nationales, le temps d’un week-end, l’extase n’est pas loin. Merguez trop grillées et vide-greniers encombrés sont les deux mamelles d’un pays résolument tourné vers la nostalgie et la charcuterie ! La moindre commune possède à son calendrier des festivités, un marché aux objets anciens qui tient le plus souvent de l’immonde fourre-tout où, pour des raisons économiques, nos compatriotes dans le besoin espèrent arrondir leur difficile fin de mois. Dans ce bric-à-brac où s’entassent appareils électriques défectueux, jeux de société incomplets et Barbie démantibulées, la chine devient un exaltant sport d’extérieur. On y brûle plus de calories qu’en courant ou pédalant à condition de ne pas forcer sur le pain et la harissa.

Pour tous les explorateurs du dimanche matin, l’aventure commence au cul d’une camionnette. Aux premières heures du jour, la marchandise à peine déballée, ces spéléologues de l’extrême traquent leurs fantasmes d’antan. À chacun sa lubie : siphons, plaques émaillées, miniatures, poupées, pâtes de verre, bijoux fantaisie et autres réminiscences de l’enfance. Douceurs enfouies que l’on tente de faire remonter à la surface pour seulement quelques euros. Au royaume de la broc’, tous les collectionneurs finissent par trouver leur graal. Indispensable à leur équilibre mental et, faut-il le rappeler, sans abuser d’antidépresseurs. Les économistes de la santé devraient se réjouir, les écolos aussi. Recycler sans grever le trou de la sécu, la solution enfin trouvée pour rétablir nos comptes publics ! Au mois de juin, les réactionnaires sont donc à la fête. C’est le seul moment de l’année où l’on admette leur indécrottable passéisme. Ailleurs, la police de la pensée veille à ce que notre patrie ne se prélasse pas trop dans la vieillerie. On finirait par ne plus vouloir en sortir. L’Europe n’aime pas trop ces témoignages de ferveur pour une histoire forcément obsolète et stérile. La foi dans l’avenir communautaire doit balayer ces enfantillages rétrogrades. N’en déplaise à tous les progressistes, les amateurs de quinquina, de vieux outils agricoles, de faïence, de cartes postales ou de soldats de plomb font de la résistance…à leur façon. Ils se lèvent tôt pour dépenser plus.

Aux beaux jours, les journaux anciens et les livres d’occasion sortent des malles, des caves ou des bibliothèques quand elles existent encore. Ils s’aèrent l’esprit sur le pavé dans l’indifférence générale. Leur valeur dérisoire ne les protège d’aucune malveillance. Souvent, ils n’ont pas droit aux précieuses vitrines où la verroterie prend la lumière. Ils s’entassent dans des cartons ou à même le sol, flétrissent au soleil dans l’espoir de rencontrer une main amie. L’écrit outragé, l’écrit brisé, l’écrit martyrisé, mais l’écrit libéré, libéré par un promeneur du dimanche. La littérature prend tout son sens dans cette résurrection-là. On achète pour presque rien ce qui n’a pas de prix : les pensées d’un écrivain bon ou mauvais. Peu importe, le simple dessin d’une couverture peut parfois déclencher un achat. Repartir avec un livre est toujours une victoire contre l’obsolescence programmée de nos modes de consommation. Il y a du panache à exhumer un livre de poche défraîchi dans un monde trop propre pour être honnête. Le week-end dernier, pour moins de trois euros, j’ai eu la main heureuse. Quatre livres au petit format et au grand pouvoir d’évasion : Au petit poil de Yvan Audouard (Editions du Scorpion/1949), Week-end à Zuydcoote de Robert Merle (Le livre de poche/1964), Les Aristocrates de Michel de Saint Pierre (Folio/1978) et Énigme aux Folies-Bergère de Léo Malet (Fleuve Noir/1984). La saison ne fait que commencer et les trottoirs des villes semblent giboyeux. La chasse est ouverte !

Week-end à Zuydcoote

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Les Aristocrates

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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