Paris (AFP) – Les propos de Robert Ménard sur le décompte des élèves musulmans ont relancé un débat récurrent et parfois considéré comme « confus » voire « hypocrite » : le recours à des statistiques ethniques, utile contre les discriminations pour les uns, porteur d’un danger communautariste pour d’autres.
La France, à l’inverse de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis notamment, refuse les politiques ciblées, les quotas ou les statistiques ethniques, au motif de traiter tous les citoyens à égalité.
Mais « il y a beaucoup de confusion dans ce débat », a remarqué sur BFMTV le démographe François Héran, qui milite de longue date pour une « statistique ethnique républicaine ».
« Ce qui est interdit » par la loi informatique et libertés de 1978, « c’est le traitement des données individuelles, qu’il y ait informatique ou pas », relève l’ancien directeur de l’Institut national d’études démographiques (Ined). Mais « toute une série de dérogations sont permises quand il s’agit de recherches à des fins de connaissance scientifique, anonymes, qui ont le libre consentement des personnes et sont exécutées par des institutions fiables », note-t-il. En résumé, la loi oppose un non absolu au fichage mais un « non sauf si » aux statistiques ethniques.
Faut-il aller plus loin, avec des études plus nombreuses basées sur l’origine des personnes ? Certains le pensent, comme la sénatrice écologiste Esther Benbassa, rédactrice en novembre dernier d’un rapport avec son collègue UMP Jean-René Lecerf.
Pour apaiser les tensions à droite comme à gauche sur un sujet sensible, les deux coauteurs avaient renoncé à préconiser l’autorisation explicite des statistiques ethniques et suggéré plus modestement de poser « une fois tous les cinq ans, dans le recensement, une question sur le pays de naissance des ascendants et la nationalité antérieure ». Un moyen selon eux d’obtenir « des résultats mesurables sur l’ampleur des discriminations et leur déploiement ».
« Quoi qu’on en dise, nous sommes dans un pays multiculturel. Qu’est-ce que c’est que cette hypocrisie ? Ce n’est pas pour ça que je vais soutenir le fichier sauvage de M. Ménard, qui est stigmatisant », explique à l’AFP Esther Benbassa.
– « Politique de l’autruche » –
Pour le Conseil représentatif des associations noires (Cran), la France refuse la mise en place d’« indicateurs ethniques » pour « des raisons culturelles qui n’ont rien à voir avec le droit ».
« On pratique dans ce pays la politique de l’autruche. C’est un peu comme si on demandait à un médecin de guérir le patient tout en lui refusant l’usage du thermomètre, du stéthoscope, des analyses de sang ou d’urine », écrit le Cran dans un communiqué.
« La CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) est toujours hostile aux statistiques ethniques », rappelle pour sa part sa présidente, Christine Lazerges. Ses critiques portent sur une statistique « elle-même porteuse de discriminations en ce qu’elle essentialise les catégories, donc n’aide absolument pas à l’intégration ».
Mais la commission « considère que c’est un sujet à retravailler », précise à l’AFP cette ancienne députée socialiste qui considère, en tant qu’universitaire, qu’« on ne doit pas se priver d’outils de recherche pour comprendre comment évolue la société ».
« La société a besoin de bouger, il faut prendre des mesures », estime Esther Benbassa. Christine Lazerges, elle, pense qu’« il faut avancer à pas de loups » sur ce sujet, alors que le débat est déjà « hystérisé sur les questions de laïcité ».
Et l’opportunité de le faire dans la foulée des déclarations polémiques du maire de Béziers se discute. « Robert Ménard ne fait pas de la recherche sociologique, il compte ses voix », tranche la présidente de la CNCDH.
*Photo : © AFP/Archives Sylvain Thomas
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