Causeur. Association de défense des langues et civilisations de l’Antiquité, Arrête ton Char est à la pointe de la contestation de la réforme du collège. Comment vous êtes-vous engagés dans ce combat ?
Robert Delord. Depuis nos débuts, nous avons pris le parti de ne pas adopter le mode de la déploration d’un énième collectif de défense (et illustration) des langues Anciennes. Au contraire, nous essayons depuis septembre 2006 de proposer aux élèves et aux enseignants des ressources variées pour renouveler sans cesse l’enseignement des langues Anciennes et établir des ponts entre monde antique et monde moderne. C’est bien malgré nous et de façon à relayer les inquiétudes justifiées de tous nos collègues que nous avons été amenés à prendre la parole dans ce débat.
Le choix du nom de notre association, volontairement décalé, nous a facilité la tâche puisque beaucoup de journalistes qui ont commencé à s’intéresser aux Langues Anciennes depuis l’annonce de la réforme, ont, à tort, pensé qu’il signifiait « Arrête ton char Najat Vallaud-Belkacem ! ».
Vous avez déposé un recours devant le Conseil d’État pour demander l’abrogation du décret de la réforme. Quels sont vos principaux griefs ?
Disons qu’après une réaction forcément épidermique à l’annonce du démantèlement pur et simple de nos disciplines, latin et grec ancien, nous avons écouté, lu et analysé le plus objectivement possible toutes les annonces faites, tous les arrêtés, décrets et projets de programmes publiés par la DGESCO (direction générale de l’enseignement scolaire) et le ministère, ce qui nous a amené à nous opposer non plus seulement au sort réservé à nos disciplines, mais à l’ensemble de cette réforme.
Le premier point contesté porte sur la forme et l’absence avérée de consultation du Comité technique ministériel de l’enseignement, une instance de représentants du personnel qui doit impérativement être consultée sur les questions relatives à l’organisation des établissements, à leur fonctionnement, aux évolutions des méthodes de travail et à leur incidence sur les personnels. Cet oubli constitue un vice de forme qui à lui seul remet en cause le décret de la réforme et prouve, s’il en est encore besoin, le manque de considération des personnels, la précipitation et l’amateurisme dont a fait preuve le Ministère lors de la publication de ce texte.
Ensuite, au niveau du contenu même, l’organisation proposée par l’arrêté et le décret portent atteinte à la notion de socle commun puisque les enseignements complémentaires seront retranchés des enseignements communs.
Enfin, l’organisation des enseignements proposés porte atteinte à l’égalité de traitement des citoyens devant le service public puisque les heures d’enseignements complémentaires (Enseignements Pratiques Interdisciplinaires et Accompagnement Personnalisé) seront retranchées des heures d’enseignements communs et cela de manière propre à chaque établissement
Certains affirment que le latin « n’est pas assez sexy », pour reprendre l’expression employée par un conseiller de la ministre. Quel message voulez-vous faire passer ?
Pseudo-intellectuels, réactionnaires, élitistes, conservateurs, antiréformes, antimodernes, immobiles, électeurs de droite : voilà un petit florilège des qualificatifs dont nous ont gratifié ces derniers mois ministres, députés PS, syndicat pro-réforme et même Président de la République. Il faut se méfier des personnes qui s’autoproclament progressistes et cherchent à confisquer ce terme à leur seul profit. Ces personnes-là font le même hold-up que l’UMP avec le terme « républicain ». J’aimerais qu’on nous présente un seul enseignant qui choisisse ce sacerdoce sans avoir à cœur de faire progresser ses élèves, son métier et l’école de la République.
Les professeurs de langues anciennes font partie de ceux qui ont le plus fait évoluer leurs pratiques pédagogiques ces vingt dernières années. Bien obligés ! Depuis que l’option latin n’est plus obligatoire, le professeur de Latin est le seul qui doit chaque fin d’année prendre son bâton de pèlerin pour aller recruter ses élèves de l’année suivante. Dans ces conditions, il serait assez intéressant de voir si un professeur d’une autre discipline obligatoire réussirait à remplir les trente places de sa salle de classe.
La mobilisation contre la réforme du collège prend des formes inédites. Du côté des enseignants, elle ne se limite plus aux actions syndicales traditionnelles. Du côté des parents, les grandes fédérations représentatives soutenant plutôt la réforme, nombreux sont ceux qui se tournent aujourd’hui vers les structures locales (associations locales de parents d’élèves, collectifs parents-enseignants). Quel regard portez-vous sur la mobilisation de la société civile ?
Il est rassurant de voir que la société civile s’empare de cette question de la réforme du collège. Cela montre que les Français sont attachés à l’école de la République, qu’au sortir de trente ans de collège unique, ils attendent qu’on leur propose un autre collège qui repose non sur un principe d’égalitarisme forcené, mais qui offre de vrais moyens et de vrais dispositifs pour aider chaque élève à progresser.
Nous avons bien l’intention de continuer à informer le public en organisant diverses actions médiatiques durant cette année scolaire 2015-2016. Nous vous donnons d’ailleurs rendez-vous dès le 10 octobre à Paris pour la manifestation nationale contre cette réforme du collège. Les profs de Langues Anciennes vous montreront qu’ils ne sont pas aussi poussiéreux qu’on voudrait le faire croire.
Que dites-vous de ce sondage confidentiel commandé par l’Elysée cet été et qui montre la très grande défiance des Français à l’égard de cette réforme ?
Nous risquons d’attendre un bon moment avant de pouvoir le lire et le commenter ! Autant nos responsables politiques n’ont pas de scrupule à répéter que 70% des Français, comme Emmanuel Macron, trouvent injustifié le statut des fonctionnaires, autant ils ont du mal à avouer que 75% des Français sont opposés à la réforme du collège[1. D’après un sondage commandé par le Service d’Information générale (SIG), notamment évoqué au cours de l’émission Rue des Ecoles sur France Culture].
Cet exemple, ainsi que le refus de publier le bilan de la réforme du lycée avant la mise en place effective de la réforme du collège (qui s’en inspire en partie) prouve bien que, contrairement à ce qu’affirme le ministère, cette réforme du collège n’est pas issue du terrain, mais impulsée d’en haut, bref, une réforme Top-Down.
Plusieurs médias ont fait état de pressions sur des enseignants engagés contre la réforme. Qu’en est-il ?
Face à un rejet massif de cette réforme par les enseignants, le ministère de l’Education National n’a d’autre choix que de verrouiller au maximum la communication pour éviter que le grand public (les utilisateurs du service public d’éducation) ait vent des points d’achoppement de cette réforme pourtant cruciale. Le service de com’ du ministère réclame à ses conseils nationaux la rédaction de panégyriques de la réforme. Les rectorats demandent aux établissements de ne plus communiquer sur le sujet sans autorisation dûment complétée de la DASEN (direction académique des services de l’éducation nationale). Certains vont même jusqu’à convoquer des collègues pour leur stipuler que la diffusion d’un calendrier parodique ou le fait de s’exprimer contre la réforme dans les médias relève de « l’atteinte à la dignité de la fonction publique et de l’enseignement. Enfin, certains chefs d’établissements interdisent aux enseignants qui le souhaitent d’organiser des réunions d’information à destination des parents ou même de tracter aux abords des collèges. On nous a également rapporté des cas de chantage à l’organisation de sorties scolaires exercé par le chef d’établissement sur des enseignants souhaitant se porter grévistes lors des manifestations du 17 septembre dernier.
À propos de cette réforme, Najat Vallaud-Belkacem a parlé d’un malentendu avec les enseignants. Que lui conseillez-vous de faire pour le dissiper ?
Il semble malheureusement que le ministère ne souhaite pas entendre les enseignants. On veut nous faire croire que cette réforme apportera de l’autonomie aux établissements et confiera liberté pédagogique et responsabilités aux enseignants alors que c’est exactement l’inverse. La plus grande preuve de confiance eût été d’associer véritablement tous les personnels de l’Education Nationale à cette formidable et nécessaire entreprise de rénovation du collège et des programmes d’enseignement. Le calendrier politique en a décidé autrement ! Le malentendu est du côté du Ministère. Les enseignants qui sont opposés à cette réforme ne sont pas opposés à toute réforme. Bien au contraire : eux connaissent la nécessité de réformer le collège. Eux sont sur le terrain, dans des salles souvent surchargées, pas dans les bureaux feutrés de la Rue de Grenelle. Eux sont aux côtés des élèves qu’ils connaissent et dont ils connaissent les besoins, pas dans un entre-soi déconnecté de la réalité. Les enseignants veulent une réforme profitable à tous leurs élèves ; s’ils ne l’obtiennent pas, il n’y aura sans doute aucun malentendu aux prochains scrutins.
*Photo: Pixabay.
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