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Robert Badinter: le temps de nos illusions perdues

Le billet de Dominique Labarrière


Robert Badinter: le temps de nos illusions perdues
Robert Badinter à l'Assemblée nationale, 17 septembre 1981 © Yan Morvan/SIPA

Un hommage national sera rendu à l’ancien Garde des Sceaux décédé, a annoncé l’Élysée


Robert Badinter est mort. Un pan du siècle dernier, c’est indéniable, s’en va avec lui. Il fut l’âme, l’esprit et le bras armé de l’abolition de la peine de mort en France. Il aura été aussi le juriste implacable qui a su exiger des pays espérant rejoindre la communauté européenne qu’ils suivent ce modèle et suppriment chez eux le recours à l’exécution capitale. La raison était qu’il voyait dans l’abolition la marque probablement la plus élevée de l’appartenance à notre civilisation occidentale. Par la suite, tout au long de son existence, il n’a jamais cessé de rappeler qu’il s’agissait en l’occurrence d’un combat, non pas pour une vie, mais pour « La » vie. À chaque prise de parole, conviction intacte, éloquence toujours aussi poignante, il tenait à rappeler ce point essentiel.

À l’heure où on se rue sur des accommodements moraux tels qu’inscrire l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, où l’on cherche à louvoyer avec la mort en prétendant la domestiquer, la dominer et s’en faire si peu que ce soit le maître, il serait très opportun d’avoir présent à l’esprit le sens de ce combat-là, le combat pour la vie.

En effet, avec la disparition de Robert Badinter une époque finit. Une France s’efface. Celle où un ministre, un gouvernement pouvaient présenter et défendre devant la représentation nationale un texte de loi aussi clivant que celui du renoncement à la peine capitale sans que des députés se sentent autorisés, ou pire encore tenus, de beugler comme des porcs, de se comporter en débiles hystériques. La dignité parlementaire de ce temps-là a bel et bien vécu, elle aussi. Une décence citoyenne d’un autre temps qui a fait que Badinder, ex-garde des Sceaux de François Mitterrand, aura réussi la prouesse elle aussi aujourd’hui inconcevable d’être tout à la fois puissamment contesté et sincèrement respecté. De telles nuances n’ont plus cours chez nous, on le constate, hélas, tous les jours.

Illusions perdues, disais-je. Oui, me semble-t-il. Car nous autres humanistes – humanistes hors clivages idéologiques, politiques, confessionnels, n’ayant finalement en partage que notre appartenance civilisationnelle, nous nous reconnaissions au moins pour une part en Badinter. Comme lui, nous avons – profondément, fermement, mais tout autant naïvement – cru à un monde qui n’est pas advenu.

Un monde où, en miroir de la peine de mort, seraient abolis la barbarie, le terrorisme, le djihadisme sanguinaire, la conquête de nos villes et campagnes par l’empire de la drogue, tout ce cortège de fureur et de mort que nous ne connaissons que trop bien.

Dès lors, une interrogation se fait jour. Terrifiante, j’en conviens, et fort peu satisfaisante pour le cœur et l’esprit, une interrogation dont le disparu aurait été positivement horrifié. Face à une si violente régression des mœurs, serait-il totalement inconcevable que demain la société ne réponde par une tout aussi violente régression des lois ?

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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernière parution : « Moi, papesse Jeanne », éditions Scriptus Malvas

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