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Rishi Sunak avance les élections générales: coup de folie ou coup de génie?

Les électeurs britanniques se rendent aux urnes le 4 juillet, le Premier ministre est en grande difficulté


Rishi Sunak avance les élections générales: coup de folie ou coup de génie?
Le Premier ministre britannique Rishi Sunak et la candidate Michelle Donelan, Melksham, 7 juin 2024 © Phil Noble/AP/SIPA

Avec les élections européennes, on ne peut pas vous parler de politique aujourd’hui. Oui, mais les Britanniques ont voté le Brexit…


Les conservateurs n’ont jamais été aussi bas dans les sondages, et Rishi Sunak est le Premier ministre le plus impopulaire de l’après-guerre, derrière Liz Truss. Pourtant, le Premier ministre a demandé la dissolution du Parlement pour convoquer des élections générales dans quelques semaines. Est-ce un coup de folie ou un coup de génie ?

Le bipartisme britannique, c’est fini ?

Rishi Sunak est en grande difficulté sur le plan électoral. Les conservateurs n’ont jamais été aussi bas dans l’opinion publique britannique. Pour les prochaines élections générales, qu’elles aient lieu en fin d’année ou cet été, les sondages accordent aux Tories entre 20% et 25% des intentions de vote, au même niveau que sous le mandat de 44 jours de la catastrophe Liz Truss. Même lors du Partygate ayant conduit au départ de Boris Johnson, le parti n’était pas tombé aussi bas. Il représentait en effet encore entre 30% et 35% des intentions de vote. De surcroît, l’écart avec les travaillistes s’est largement creusé. Lorsque Boris Johnson quitte le 10 Dowing Street, il n’y a que cinq points d’écart entre les travaillistes et les conservateurs contre plus de 20 points d’écart aujourd’hui. Pire, les Tories sont pris en étau entre le parti Reform et les Libéraux qui pourraient rassembler à eux deux autant de voix que les conservateurs – du jamais vu dans le bipartisme britannique.

Rishi Sunak n’a pas séduit les Britanniques. Il jouit d’une des plus faibles cotes de popularité parmi les responsables politiques occidentaux. En effet, selon le dernier baromètre IPSOS, le Premier ministre britannique n’emporte l’adhésion que de 16% des Britanniques sur son action gouvernementale, soit presque moitié moins qu’Emmanuel Macron à titre de comparaison, alors que ce dernier est dans un état de crise politique permanent. De surcroît, M. Sunak doit affronter une hostilité accrue. En effet, 75% des Britanniques et parmi eux 37% des électeurs conservateurs sont insatisfaits de sa politique. Ainsi, le Premier ministre le plus impopulaire d’après-guerre derrière Liz Truss ne dispose pas du capital politique suffisant pour inverser la tendance. D’autant plus que Rishi Sunak ne maîtrise pas sa majorité parlementaire, ce qui l’empêche d’obtenir des résultats pour les Britanniques. Sur ce point, il peut remercier sa prédécesseuse qui a laissé le pays ingouvernable. La majorité des 344 députés Tories est fragmentée et polarisée. D’une part, elle est fragmentée en trois blocs : un bloc centriste d’environ 150 députés, dont une soixantaine proche de Liz Truss ; un bloc de droite dure d’environ 60 députés incarnés par l’ex-ministre de l’Intérieur Suella Braverman ; et un ventre mou d’environ 120 députés qui fluctuent selon les sujets. D’autre part, la majorité est polarisée entre des points de vue irréconciliables. Les premiers sont partisans de l’accélération des réformes économiques et de l’accueil de travailleurs immigrés légaux pour relancer la croissance économique (+0,1% seulement, en 2023), tandis que les seconds estiment que le pays doit accomplir la promesse du Brexit, à savoir la protection économique et migratoire des Britanniques. Rishi Sunak est donc contraint, sur chaque projet de loi, à composer avec une majorité irréconciliable, ce qui ralentit son action gouvernementale, comme sur le projet de Loi Rwanda.

Un coup de génie ?

Alors que tous les indicateurs sont dans le rouge, Rishi Sunak tente un coup de poker politique afin de parvenir à trois objectifs :

Tout d’abord, Rishi Sunak veut reprendre le contrôle de son camp. Il y a moins d’un an, c’est Pedro Sánchez, pourtant très impopulaire en Espagne, qui avait tenté un coup de poker similaire qui s’était avéré être payant. Les Tories devraient perdre les élections générales, mais il s’agit pour le Premier ministre de préparer l’après en affirmant son autorité sur ses concurrents internes. En effet, le maintien d’une majorité aussi fragmentée laisse planer régulièrement l’hypothèse d’une fronde susceptible de renverser M. Sunak, tant au niveau de l’aile centriste autour de Liz Truss que de l’aile dure autour de Suella Baverman. Les rumeurs faisant échos d’une possible fronde interne, avant que Charles III ne dissolve le Parlement, sont risibles, et même si cela arrivait, seulement 54 parlementaires étant nécessaires pour initier la procédure, il survivrait à une motion de censure haut la main. Or, si Rishi Sunak parvient par ce coup de poker à limiter la casse, il pourrait incarner le seul conservateur pouvant réunir son camp pour le reconstruire. 

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De plus, Rishi Sunak cherche à prendre tous ses concurrents de vitesse. D’un côté, à droite, cela permet de court-circuiter Reform, le parti porté par l’ancien Brexiter, Nigel Farage. Son parti a gagné en influence dans le pays, allant jusqu’à dépasser le parti libéral démocrate (LibDem). Mais M. Sunak, même s’il se sait en danger, surtout car il n’a jamais été un défenseur fervent du Brexit, sait que ce nouveau parti relativement jeune ne pourra pas aligner un candidat dans chacune des 632 circonscriptions. Sur ce coup, Sunak est gagnant étant donné que M. Farage a déjà annoncé ne pas se présenter et mener la bataille des élections générales, voulant se concentrer sur les États-Unis et la campagne de son ami Donald Trump – car il est incapable de battre M. Sunak. De l’autre côté, M. Sunak prend de vitesse la gauche. En effet, Keir Starmer a réussi à pacifier le parti travailliste en se débarrassant de certains éléments perturbateurs, dont Jeremy Corbyn, qui fut pointé du doigt pour ses déclarations antisémites, mais l’équilibre travailliste reste précaire… Le manifeste du parti travailliste, qui devait faire office de programme magistral pour Starmer, reste inachevé, et dans la précipitation générale, les tensions entre les différentes franges du parti pourraient être réveillées sur plusieurs points notamment la question palestinienne ou encore le programme économique entre une aile modérée et une aile radicale.

Par sa décision, Rishi Sunak impose ses thèmes de prédilection. Cela lui évite de subir des adversaires internes et externes mieux préparés à l’automne. D’abord, en interne, cela lui évite une campagne trop marquée sur les thèmes migratoires poussés par une partie de son camp. Son bilan migratoire est difficilement présentable: le solde migratoire net en 2023 (600 000 individus) est deux fois supérieur à ce qu’il était avant le vote du Brexit, et la Loi Rwanda d’externalisation des demandes d’asile vers des pays tiers sûrs, qui constitue le socle de sa doctrine migratoire, nécessitera plusieurs années avant de porter ses fruits. Vis-à-vis des travaillistes qui ne se démarquent pas par leur programme économique, l’ancien banquier d’affaires souhaite aussi se démarquer. En demandant des élections générales en été, il peut se présenter face aux électeurs fort d’une reprise économique palpable, ce qui n’était pas gagné d’avance. L’inflation en avril a été de 2,3%, le taux le plus faible depuis mai 2021, ce qui ne devrait pas être négligeable pour certains électeurs. La croissance du PIB a été de +0,6% au premier trimestre 2024, ce qui confirme qu’après de mois de vache maigres, le Royaume-Uni est de retour, enregistrant la meilleure croissance des pays du G7, devant les États-Unis. Attendre des élections en novembre aurait signifié ne pas se saisir de ce thème économique et ne pas profiter du regain de forme de l’économie, ce qui pourrait handicaper le Labour de Starmer qui aurait préféré une campagne axée sur les thèmes sociétaux.

Ainsi, Rishi Sunak pourrait finalement avoir pris une excellente décision politique à long terme pour les conservateurs, en limitant la casse le 4 juillet, mais… mauvaise pour le Royaume-Uni. Une victoire des travaillistes irait en effet à rebours de la Révolution Johnson qui avait permis au Royaume-Uni de redevenir un acteur stratégique sur le plan international, tant ils rêvent de déconstruire l’héritage de l’ancien pensionnaire du 10 Dowing Street.




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Pierre Clairé est spécialiste des questions européennes, diplômé du Collège d’Europe et Directeur adjoint des Études du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques.

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