Qu’est-ce que j’apprends, en lisant 20 minutes ? « Une vingtaine de jeunes de gauche, en habits du dimanche et colliers de perles, ont fait face samedi à une cinquantaine de jeunes de l’UMP en T-shirt bleus et roses à Strasbourg pour le lancement de la deuxième caravane d’été de l’UMP. » D’après un des organisateurs du happening, qui a souhaité garder l’anonymat pour échapper à la répression, il s’agissait de « caricaturer sur le mode de l’humour » (sic) la politique de la droite. Les slogans officiels de cette contre-manif semblent en effet confirmer la piste de l’humour: « TVA à 5,5% sur le caviar ! » ou encore : « Pas d’allocs pour les dreadlocks ! »
Il s’agit en fait, pour tout vous dire, d’un des avatars du mouvement « Manif de droite », dont le concept est simple – pour ne pas dire plus : moquons-nous de ces cons de droite ! Le rire n’est-il pas ce qui leur est le plus étranger ?
En tant que pasticheur du Roy depuis 1793, je trouve littéralement honteux de voir un métier, au sens le plus noble du terme, ainsi salopé par des gougnafiers de rencontre. A un certain niveau de débilité prétentieuse, moi je dis : « Faut lâcher l’affaire ! Arrêter les soins palliatifs, laisser faire la nature… » Et pourtant, même la gauche française ne méritait pas une fin aussi atroce : être gagnée par l’ »esprit » de ces « nouveaux contestataires » (les guillemets me manquent pour dire mon indignation !).
La spécialité de ces « néo-cons » (comme on dit aux USA à propos d’autre chose), c’est de mettre l’humour, ou ce qui leur en tient lieu, au service de causes « citoyennes ». Autant dire les mots, aussi rudes soient-ils : ces jeunes gens font dans le rire engagé. Ils militent pour le progrès, la justice, la générosité et la gauche. Leurs cibles sont donc, en toute logique, la réaction, l’injustice, l’égoïsme… Bref, la droite et ses multiples figures emblématiques : le flic, le curé, le militaire, la duchesse et le patron-à-cigare.
Un fonds de commerce qui, à défaut d’être rigoureusement neuf, a fait ses preuves, de L’Assiette-au-beurre à Charlie Hebdo en passant par le Canard et ses inextricables chaînes. Alors pourquoi se gêner ? Il suffit à ces glands d’ânonner l’antique antienne contre les « bourgeois, les curés et les gavés » pour être adoubés par Canal + où, en janvier dernier, ces subversifs-là avait eu droit en prime time à une heure de publi-reportage maquillé en documentaire, sans compter une promo kimjongilesque dans la presse-qui-pense : « Jeunes révolutionnaires sympathiques » (Télérama), « Militants pragmatiques et joyeux » (Les Inrockuptibles), « What the fuck ? » (Jalons.fr).
Tiens, au hasard : nos amis les Inrocks, qui ordinairement rient quand ils se brûlent, sont carrément pliés en quatre face à des slogans aussi percutants que « La pauvreté, c’est génétique ! » ou « CAC 40, ouais, ouais, ouais ! » Et pourquoi pas « Non aux méchants, oui aux gentils ! » ? Pour faire passer un message aussi platement manichéen, les néo-cons sont-ils bien inspirés de prétendre passer par le deuxième degré ? S’ils m’avaient consulté, je leur aurais plutôt conseillé un truc à leur taille, genre : « Sans-papiers, sans-logis, sans-esprit : solidarité ! »
En ce qui me concerne, j’en tiens pour l’humour dégagé. Dégagé, notamment, de la foi progressiste et de l’esprit-de-sérieux qu’elle impose.
Toutes les révolutions, depuis la Nôtre, ont écrabouillé les peuples en leur promettant le bonheur dans vingt ans. Et pourtant Jésus, qui n’était pas membre du Medef, avait prévenu : « Des pauvres, vous en aurez toujours ! » L’égalité, c’est comme son Royaume : ce n’est pas de ce monde ! (Comme quoi il ne risque pas de faire chier les athées.)
A la racine de tous nos maux, il y a bien sûr l’humaine nature, c’est-à-dire le péché originel -et non pas la société telle qu’elle est ici et maintenant, ou dans la Chine des Ming. Je ne pourrais certes pas écrire ça dans, mettons, les Inrocks. Je ne sais pas si je vous l’ai raconté : ces gens-là sont fascinés par « la radicalité inédite du rapport à la politique de ces collectifs militants iconoclastes ». Puteborgne ! Après une telle phrase, qui aurait encore envie de rire ?
Mais au fait, est-ce qu’on est vraiment là pour rigoler ? Et si oui, pourquoi ? Et sinon, pourquoi ; et pour quoi ?
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