On a souvent dit que l’étonnante indulgence des Italiens à l’égard des frasques de Silvio Berlusconi s’expliquait par ses bons résultats économiques. Si c’est le cas, il ne faut peut-être pas parier sur la longévité du gouvernement de droite, soutenu par trois forces politiques : le Popolo della Libertà, PDL, qui est la « propriété personnelle » du Président du conseil ; la Ligue du Nord, de plus en plus divisée entre les amis du fondateur, Umberto Bossi, et ceux de l’actuel ministre de l’Intérieur, Roberto Maroni ; et enfin les transfuges d’autres partis, séduits par bien des promesses et des cadeaux.
Au cours de l’été, le gouvernement Berlusconi a rencontré un obstacle de taille : les marchés financiers mondiaux, qui ont visiblement perdu leur confiance dans la solidité économique de la Péninsule, ont boudé les titres émis par le Trésor italien pour financer sa dette (BOT).[access capability= »lire_inedits »] Les Italiens sont traditionnellement des épargnants et ils ont l’habitude de racheter les BOT. Mais avec une dette publique qui dépasse désormais les 1900 milliards d’euros, soit 120 % du PIB, l’épargne des ménages ne suffit plus. Au milieu de l’été, les hésitations et la défiance de la finance internationale ont forcé l’Italie à augmenter les intérêts payés aux investisseurs sur les BOT et les autres titres émis par l’État, créant le risque d’une spirale de méfiance et de spéculation « à la grecque ». Certes, la Banque centrale européenne a calmé le jeu en rachetant des dizaines de milliards d’euros de titres italiens et espagnols. Mais la contrepartie de son intervention a été l’adoption en urgence, à la mi-août, d’un plan de rigueur draconien visant à réduire les déficits de 45,5 milliards d’euros sur deux ans (2012 et 2013) en conjuguant la contraction des dépenses de l’État et la hausse des impôts. Le gouvernement Berlusconi a engagé sur ce terrain sa crédibilité internationale – du moins ce qu’il en reste.
Plus question de « faire payer les riches »
Seulement, il a suffi de quelques semaines pour que ces bonnes résolutions apparaissent comme des promesses d’ivrogne. En effet, le plan annoncé alors que les attaques spéculatives étaient à leur paroxysme se réduit comme une peau de chagrin. La mesure la plus symbolique était l’instauration, pour deux ans, d’un impôt de solidarité sur les revenus des contribuables les plus riches − 5 % de 90 000 à 150 000 euros et 10 % au-delà. Mais ce choix était socialement trop juste pour ne pas scandaliser les amis de Silvio Berlusconi. Après quelques jours de calme relatif sur les marchés financiers, Berlusconi est revenu sur l’idée de s’en prendre aux riches, préférant parier sur une énième réforme des retraites. Le 29 août, le plan de rigueur a été complètement révisé et l’impôt de solidarité a disparu. Afin de limiter les polémiques, il a été maintenu pour les seuls membres du Parlement qui gagnent souvent beaucoup d’argent en exerçant une deuxième profession. Adopté pour trois ans, le nouveau plan restreint la possibilité de partir à la retraite pour les travailleurs âgés de moins de 65 ans en supprimant la possibilité de « racheter » les années d’université et même de service militaire. Il prévoit également la disparition des 110 « provinces » (départements), ainsi qu’une diminution du nombre de parlementaires, mais ces deux mesures sont assez hypothétiques dans la mesure où elles impliquent une révision constitutionnelle difficile à mettre en œuvre pour un gouvernement disposant d’une très faible majorité.
La première version de la rigueur berlusconienne était certainement discutable et difficilement supportable pour la population, mais au moins garantissait-elle une réduction rapide du déficit. La nouvelle version est une boîte à moitié vide dès lors que Berlusconi n’a pas les moyens politiques de mener à bien les révisions constitutionnelles nécessaires. Dans ces conditions, on peut s’attendre à de nouvelles attaques des marchés contre la dette italienne. Le gouvernement devra alors bricoler dans la confusion un troisième plan dont rien n’assure qu’il fera renaître la confiance des marchés échaudés par l’échec des deux premières moutures. Le premier responsable de ce fiasco annoncé, c’est évidemment Berlusconi qui n’a ni l’habileté personnelle ni la capacité politique d’inscrire l’austérité inévitable dans le cadre d’une authentique réforme fiscale qui permettrait non seulement de retrouver le chemin de l’équilibre budgétaire mais aussi de renouer avec la croissance – qui ne devrait pas dépasser 1 % en 2011. Autant dire que le « Cavaliere » est dans le pétrin, ce qui n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. L’ennui, c’est que l’Italie l’est aussi. On me permettra de penser que c’est bien plus inquiétant. [/access]
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