Accueil Culture Tant qu’il y aura des films

Tant qu’il y aura des films

Notre sélection de films du mois de mars


Tant qu’il y aura des films
© Les films du Parotier

Une hôtesse de l’air qui se fout des syndicats, un acteur-monstre qui n’en finit pas de jouer son propre rôle à l’écran et une vache de compétition qui tient la vedette : le cinéma français dans tout son éclat mensuel. « Rien à foutre«  d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre, le 2 mars. « Robuste », de Constance Meyer, le 2 mars 2022. « Vedette », de Claudine Bories et Patrice Chagnard, le 30 mars 2022.


À bord

Poids léger (comme l’air)
Rien à foutre, d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre

Sortie le 2 mars 2022

Un film, du moins son idée d’origine, tient à peu de chose. Dans le cas présent, les deux coscénaristes et réalisateurs racontent que tout a démarré avec la vision, sur un vol à bas prix, d’une hôtesse de l’air manifestement déprimée qui retrouva instantanément son plus beau sourire commercial quand retentit la sonnerie lui donnant le feu vert pour proposer aux passagers ses boissons et objets à vendre… Le dedans du spleen, le dehors du travail : ce qu’elle laisse au sol de soucis domestiques ou amoureux, ce qu’elle emporte en vol d’agitation professionnelle. Le film Rien à foutre (magnifique titre !) repose sur ce double mouvement contradictoire et complémentaire à la fois. L’image finalement très quotidienne du privé qu’on se doit de cantonner et de faire taire dans l’arène publique. Le « sois sage ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille » quand sonne l’heure du grand ballet de nos vies sociales.  De cette situation de départ minimaliste et banale, Marre (c’est le véritable patronyme de celui qui a coréalisé Rien à foutre, on pourrait croire à la blague de potache et c’est pourtant la stricte vérité de l’état civil qui ne s’invente donc pas !) fait un film qui prend son sujet à bras-le-corps. Ici l’hôtesse de l’air s’appelle Cassandre, laquelle n’annonce rien d’autre que l’avènement d’une jeunesse en proie au doute social et qui semble très bien s’accommoder de la dérégulation sociale tous azimuts.

© Condor Distribution

Déjouant les pièges du « film de métier » qui ressemble plus à une fiche de Pôle Emploi qu’à une œuvre de cinéma digne de ce nom, les deux auteurs accordent à leur personnage principal une véritable existence hors de son statut professionnel. C’est précisément parce que la vraie vie est ailleurs qu’elle accepte les conditions de travail propres au low cost. Elle s’en arrange moins qu’elles ne l’arrangent, à vrai dire. Et pour tout dire l’absence de morale que revendique Rien à foutre fait plutôt du bien en ces temps où le tandem formé par le cinéaste Stéphane Brizé et son acteur fétiche Vincent Lindon fait figure de mètre-étalon du prêt-à-penser. D’où un cinéma qui n’en finit pas de donner des leçons en prônant un « autre monde » (c’est le titre de leur dernier opus commun) dont on peine à voir ce qu’il recouvre vraiment. À force de répéter que tous les patrons sont méchants et tous les cadres gentils, certains finissent par y croire. Rien à foutre se garde de telles croyances. Si sa Cassandre se brûle les ailes, c’est entièrement de sa faute. D’où un film qui très heureusement ne finit pas sur une prise de conscience, un salut par je ne sais quoi ou qui, ou bien encore une évolution qui ressemblerait à la découverte de la maturité. Rien de tel ici et c’est ainsi que le film de Julie Lecoustre et Emmanuel tient bien droit sur ses deux jambes.

À lire aussi: «Rien à foutre»: les hôtesses de l’air ne s’envoient plus en l’air

Au centre de cette réussite, il y a assurément une actrice, Adèle Exarchopoulos. Révélée par le génial Abdellatif Kechiche, elle donne à Cassandre et sa vitalité et son mystère. Le « rien à foutre » semble lui coller à la peau, comme si son visage révélait en permanence cet état d’esprit qui l’empêche de tomber. Ce mantra salvateur est un excellent passeport pour franchir les portiques d’aéroport aussi bien que les dépressions passagères. Toujours seule et sans cesse entourée, c’est le lot quotidien de Cassandre au sol comme dans les airs. Et c’est ce spleen que l’actrice sait rendre à la perfection, traversant tout le film d’une nonchalance qui fait songer à la Sandrine Bonnaire de chez Pialat (À nos amours) ou Sautet (Quelques jours avec moi). Être au monde sans y être tout à fait, lui déclarer son amour tout en le tenant à distance. Cela, Exarchopoulos l’accomplit ici comme ailleurs à la perfection. Chez Kechiche, elle faisait jeu égal avec Léa Seydoux. Elles sont toutes les deux de la même eau dans des registres opposés, mais parfaitement complémentaires. Elles sont la lutte des classes à elles deux : Adèle d’en bas, Léa d’en haut, clichés inclus. Mais le cinéma est affaire d’images, Exarchopoulos, comme Seydoux, pulvérise toutes les caricatures : avec elles, les images sont justes.


À la ville

Poids lourd
Robuste, de Constance Meyer

Sortie le 2 mars 2022

© Diaphana Distribution

Depardieu encore et toujours… On le verra bientôt incarner le plus célèbre commissaire de la littérature française, Maigret, sous la direction de Patrice Leconte. Ici, il joue son propre rôle ou presque. Un acteur fatigué qui voit débouler une plantureuse garde du corps chargée d’assurer sa sécurité au quotidien. Désormais, chaque film avec Depardieu est d’abord et peut-être uniquement un film sur Depardieu. On guette le tour de taille, le souffle court, la profondeur sidérante du regard et le phrasé à nul autre pareil. C’est comme une bête de concours. Chaque film devient comme une médaille, un nouveau trophée. Et tant pis si Depardieu tourne trop et finit par tourner n’importe quoi, n’importe comment et avec n’importe qui… Un acteur, se justifie-t-il, c’est fait pour tourner comme le plombier pour réparer les lavabos. Passez votre chemin. Robuste est toutefois un premier film plutôt prometteur, parce que la réalisatrice a manifestement su dompter le fauve et c’est déjà une merveilleuse prouesse.


À la montagne

Poids lourd (bis)
Vedette, de Claudine Bories et Patrice Chagnard

Sortie le 30 mars 2022

On ne saurait trop conseiller à Alain Finkielkraut de se précipiter pour aller voir ce documentaire, lui dont on sait l’admiration qu’il voue à la race bovine et à ses représentantes. La « Vedette » du titre, c’est en effet le nom d’une vache qui fut la reine des reines à l’alpage, dans les Alpes. Vieille désormais, elle devient l’hôte des deux auteurs de ce film singulier. Mais cette cohabitation ne va pas de soi pour le couple qui doit malgré la boue, le froid et la pluie apprivoiser cet animal pas comme les autres. S’ensuit une fable pleine d’humour et d’ironie aussi. Personnage à part entière, Vedette est à la hauteur de sa haute réputation. Elle fait peur, elle déroute, elle séduit, elle énerve, elle intrigue. Réceptacle parfait des fantasmes humains pour ne pas dire urbains, elle leur tient tête avec une constance admirable. Reste un film bourré d’humour et de second degré qui devrait plaire au philosophe…

Mars 2022 - Causeur #99

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Les Comices: Flaubert et Mélenchon
Article suivant Guerre en Ukraine: la phase de l’endurance
Critique de cinéma. Il propose la rubrique "Tant qu'il y aura des films" chaque mois, dans le magazine

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération