L’indifférence et autres horreurs est un recueil de nouvelles dans la lignée de Kessel et de Koesler.
Il y a plusieurs façons de lire le livre de Richard Rossin, L’indifférence et autres horreurs. On peut le lire comme une suite de récits, le plus souvent tirés de faits réels, qui se déroulent aux quatre coins du globe. Il y a celui de cette jeune Soudanaise anonyme, qui meurt lapidée. De ce jeune Kurde emprisonné par Saddam Hussein, qui mourra lui aussi, en maudissant la politique arabe de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin. De cette petite marchande de lunettes réfugiée du Darfour, ou encore de cette jeune fille habitante d’une banlieue française, victime d’une tournante.
Victimes de l’islamisme radical
Dans cette litanie de l’horreur contemporaine, le lecteur averti remarquera que le point commun entre la quasi-totalité de ces récits est le fait que les victimes sont presque toujours assassinées, défigurées ou mutilées par des bourreaux animés par une même idéologie, celle de l’islam radical et fanatique. Pourtant, le livre de Rossin n’est pas un nouveau pamphlet politique dirigé contre l’islamisme, comme il en existe déjà beaucoup. Son livre appartient à un genre différent et original, sui generis. Il est à mi-chemin entre le récit et la réflexion, entre la description d’un monde « ensauvagé » et la méditation philosophique sur le mal.
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Récits bibliques et expériences vécues
C’est la deuxième lecture possible du livre : celle qui part du poème de Victor Hugo placé en exergue, tiré de La légende des siècles. De ce poème, on ne connaît en général que le dernier vers, “L’œil était dans la tombe et regardait Caïn”, infime souvenir de classe de français. Tout le livre de Richard Rossin est une sorte de commentaire de ce poème de Hugo, dont il poursuit et développe la perspective, en l’adaptant au monde actuel. Réflexion sur le mal, ou plutôt réflexion sur ceux qui le commettent, rédigée à la première personne et nourrie à la double source du récit biblique d’une part, et de l’expérience vécue d’autre part.
Car Richard Rossin n’est pas seulement un écrivain et un poète, amoureux de la langue française (et aussi de l’hébreu). Il est également co-fondateur de « Médecins sans Frontières », organisation dans les rangs de laquelle il a parcouru le monde, du Biafra au Soudan, de la Mer de Chine au Darfour. C’est de ses missions humanitaires que sont tirés ces récits de l’horreur contemporaine, et c’est son vécu qui donne au livre sa vérité et son ressort dramatique. Comme son camarade Bernard-Henri Lévy, avec lequel il a mené plusieurs missions, Rossin est un écrivain engagé.
Mais on mesure en lisant ces récits tout ce qui sépare les deux hommes. Là où le premier, évoquant dans son dernier film la Somalie ou le Kurdistan, ne peut s’empêcher de parler de lui à chaque instant, le second s’efface entièrement, et n’emploie jamais le “je” pour se mettre en scène. Témoin de son siècle, Rossin appartient à la catégorie des témoins qui savent se reléguer au second plan, pour faire parler les événements et leurs acteurs eux-mêmes. En cela, il appartient à la lignée des Kessel et des Koestler. Un grand livre.
L’indifférence et autres horreurs, de Richard Rossin. Editions Balland, 2021.