L’architecte le plus prisé de la fin de l’Ancien Régime est tombé dans l’oubli. Le nom de Richard Mique est pourtant associé à Versailles et à Trianon : le style Marie-Antoinette, c’est lui ! À Lunéville, une exposition retrace sa carrière fulgurante et son destin tragique.
Les lecteurs de Causeur connaissent bien l’Hôtel abbatial de Lunéville et Jean-Louis Janin Daviet, son directeur : ces trois dernières années, nous avons salué trois expositions remarquables consacrées à Mme du Châtelet, à l’art équestre et au style Empire. Cette année, hommage est rendu à Richard Mique. Et c’est tout l’art de vivre au XVIIIe siècle qui s’expose.
Trop tôt, trop tard !
Le destin de Richard Mique aurait sans doute été différent si son procès avait eu lieu à la fin, et non au début, du mois de juillet 1794. La France révolutionnaire, à ce moment-là, connaît une brutale métamorphose, et l’on peut légitimement penser que les juges l’auraient dispensé d’un tête-à-tête avec « la bascule à Charlot », la guillotine, à l’issue de trois journées décisives.
Le 26 juillet (8 thermidor, an II), devant la Convention nationale, Robespierre, le col pris dans le bouillonnement de sa cravate de dentelle, prononce son dernier discours. Maximilien ne domine plus ces élus (qu’on appellera thermidoriens) par son seul verbe, ils le cernent et vocifèrent, ils l’appellent le« tyran ».
Le 9 thermidor, il est déclaré, avec ses amis, « hors la Loi ».
Le 10 (28 juillet), une charrette les conduit jusqu’à la place de la Révolution (Concorde). Robespierre est en piteux état : la veille, sa mâchoire a été fracturée par une balle de pistolet. À ses côtés, Louis Antoine Léon de Saint-Just, beau comme un procureur céleste, récemment encore résolu à épargner aux prisonniers la honte d’être des suspects en les considérant d’emblée comme des coupables.
Leurs têtes tombent dans le panier : fin de ce qu’on nommera la Terreur.
Malchanceux, Richard Mique, condamné le 7 juillet, est guillotiné le 9 ! Trois semaines plus tard, les juges auraient sans doute été portés à la clémence. On peut dire de cet homme qu’il est une victime de l’Histoire. D’autant que la postérité a recouvert son funeste sort d’une couche d’oubli.
« Un architecte savant, habile et digne de plus de gloire[1] »
Richard Mique eut le talent et les moyens naturels de son ambition. Ses parents le firent bel homme, son éducation le rendit aimable ; il disposait des dons de l’artiste et de l’ingénieur ; il plut d’abord aux femmes et aux personnages influents, puis aux rois et aux reines, à Nancy, enfin à Versailles. Né pour être comblé d’honneurs, il le fut ; et pour être la proie des envieux et des ratés, il le fut également.
Tout commence, pour ce jeune homme originaire de Nancy, à la cour du très éclairé Stanislas Leszczynski (1677-1766), duc de Lorraine par la grâce de Louis XV, qui avait épousé sa fille, Marie Leszczynska (1703-1768). Issu de l’école néo-classique, palladien par goût[2], Mique devient Premier architecte de Stanislas. À la mort de ce dernier, il arrive à Versailles, protégé par la reine Marie. Il y construit le couvent des Ursulines (aujourd’hui le lycée Hoche), qui recèle une admirable chapelle.
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Il passe ensuite au service de Louis XVI, et, surtout, à celui de Marie-Antoinette. Il comprend mieux que quiconque son aspiration à l’intimité et crée, au château de Versailles, ses « cabinets intérieurs », adjacents à son Grand Appartement. Le salon du Billard, la bibliothèque, le cabinet de la Méridienne, la salle à manger d’été ou encore le boudoir demeurent la démonstration d’un raffinement insurpassable. Puis, en 1783, la souveraine et son architecte investissent le domaine de Trianon pour inventer un village rêvé : le hameau de la Reine. Inspirée par un idéal rousseauiste, celle-ci demande à Richard Mique d’élever des pavillons campagnards : moulin, laiterie, pigeonnier, poulailler… et de faire peindre de fausses lézardes sur les façades pour donner l’illusion du rustique. Organisé autour d’un lac qu’alimente une rivière, le domaine s’enrichit d’une grotte, d’un temple de l’Amour, d’un belvédère… À quelques encablures des taupières du Roi-Soleil, le peintre Hubert Robert trace les bosquets d’un jardin à l’anglaise. Cette vision de la nature rompt avec la discipline voulue par Louis XIV. « Je ne connais rien de plus beau et de plus travaillé que le temple et le pavillon. La rivière se présente à merveille, dans un petit moment de ligne droite, vers le temple. », écrit alors le prince de Ligne.
Mique parsème l’Île-de-France de ses précieux édifices. Sur la colline de Saint-Cloud, offerte par le roi à son épouse, il conçoit un hôpital pour les indigents (dont il ne demeure que la chapelle) ; et à Saint-Denis, il édifie la remarquable chapelle du Carmel, à l’attention de Madame Louise, la tante de Louis XVI qui s’y était retirée.
La Révolution interrompt le conte de fées.
« Un oublié de l’histoire[3] »
À une époque aussi dangereuse, il faut surveiller ses fréquentations récentes et renier les anciennes. Richard Mique ne se renie point, sans pour autant abolir le paradoxe qui le constitue : fidèle à Marie-Antoinette et à Louis XVI, auquel il doit sa charge de Premier architecte du roi (il est le dernier en titre), c’est un homme des Lumières qui veut montrer à ses juges qu’il n’est pas fondamentalement hostile aux idées neuves…
Le 9 juillet 1794, Richard Mique paraît sur l’échafaud accompagné de son fils. À travers la personne de l’architecte de cour, riche et comblé d’honneurs, on poursuit l’acharnement contre la reine, la capricieuse, la dispendieuse, la fermière luxueuse. Le Tribunal révolutionnaire évoque également une (fausse) malversation dont l’accuse un escroc, un imposteur qui prétend être son frère. C’est suffisant pour le condamner.
Ah, si les thermidoriens avaient agi plus tôt…
Richard Mique architecte du roi de Pologne Stanilas 1er, de Mesdames er de Marie-Antoinette
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À voir :
Richard Mique. Architecte des Reines, dernier « Premier architecte du Roy ».
Hôtel abbatial de Lunéville (Meurthe-et-Moselle), jusqu’au 3 novembre.
[1] Pierre de Nolhac,« Le Jardin de Marie-Antoinette au Petit-Trianon », in Revue des Deux Mondes, vol. 18, nov. 1913.
[2] Andrea Palladio (1508-1580) : architecte et théoricien italien, inspiré par le romain Vitruve (vers 85-vers 15 av. J.-C.), exerce une puissante influence sur les architectes de la Renaissance. Il rompt avec le style gothique international et revient à la clarté antique.
[3] Muriel de Raïssac, Richard Mique : architecte du roi de Pologne Stanislas Ier, de Mesdames et de Marie-Antoinette, Honoré Champion, 2011.