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Richard Malka sur l’affaire CNews/RSF: «L’interdiction revient toujours en boomerang»

Entretien avec Richard Malka


Richard Malka sur l’affaire CNews/RSF: «L’interdiction revient toujours en boomerang»
L'avocat Richard Malka © Hannah Assouline

Le célèbre avocat avance qu’on ne pourra jamais avoir autant de canaux que d’opinions, et qu’il est donc impératif d’obtenir une diversité d’opinions à l’intérieur de chaque chaîne info. Il ne se satisfait pas d’un monde où les gens de gauche n’écouteraient que des discours de gauche et les gens de droite idem. Une parole trop rare.


Causeur. Une organisation censée promouvoir la liberté de la presse dénonce un média qu’elle ne trouve pas assez pluraliste parce qu’il a une sensibilité de droite (en réalité « conservatrice »), contrairement à tous les autres qui sont spontanément «progressistes » et demande au Conseil d’Etat d’obliger le régulateur à fliquer tous les intervenants (demande déjà rejetée par ledit régulateur). Que vous inspire cette demande de RSF, vous qui êtes l’un des grands défenseurs de la liberté d’expression ?

Richard Malka. Essayons de dépasser un peu les polémiques et d’approfondir ce débat qui est assez important pour mériter autre chose que des caricatures. D’abord, on ne peut vraiment pas contester que RSF lutte pour le journalisme et la liberté d’expression partout dans le monde. C’est une des rares organisations qui ose encore défendre le droit au blasphème, y compris devant les organisations internationales. J’ai trouvé le procès qui lui était fait assez injuste. Deuxième point, la préoccupation de RSF vise le pluralisme. Mais qui peut sérieusement être «  contre » le pluralisme ?

Non, la requête de RSF vise CNews, nommément. Si leur objectif était le pluralisme, ils auraient cité d’autres médias.

Pour qu’il y ait un contentieux, il faut bien agir contre une partie identifiée, mais vous n’allez pas vous satisfaire de cette réponse juridique, donc je n’ai aucune difficulté pour vous dire que si j’avais rédigé cette requête, j’aurais trouvé nécessaire de globaliser et de citer d’autres médias ou émissions. Par souci d’équilibre et aussi de pragmatisme afin de ne pas être soupçonné d’agir en fonction d’un biais idéologique.
Ce qui transforme ce débat en champ de bataille, c’est précisément qu’il a été soulevé à propos de CNews. Je peux comprendre les réactions courroucées de cette chaine, mais la décision du Conseil d’Etat s’appliquera à tout l’audiovisuel sans discrimination. Il ne peut évidemment en être autrement. Enfin, il ne faut pas confondre pluralisme et liberté de choisir sa ligne éditoriale ce qui est parfaitement légitime. Qu’il y ait des médias de gauche comme de droite, c’est parfait ; ce qui me choque, c’est l’absence de contradiction car alors, on quitte l’information pour rejoindre la propagande, la facilité de la radicalité et du simplisme. Les chaines de télévision doivent autre chose à leur public. C’est un impératif de permettre la contradiction.

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La question porte donc sur les moyens d’y parvenir et il n’est pas absurde d’adapter l’appréciation du pluralisme à l’évolution du monde et des médias, près de 40 ans après la loi de 1986 qui prévoit cette obligation dans l’audiovisuel où les fréquences sont limitées et où les chaines s’offrent au public. Qu’il y ait des dangers en matière de liberté d’expression au regard des critères qui pourraient être retenus pour apprécier ce pluralisme, c’est certain, et il faudra être d’une absolue vigilance mais cela n’empêche pas de réfléchir à la manière d’aboutir à cet objectif. Je serais l’Arcom, je convoquerais tout le monde pour y réfléchir car c’est l’intérêt de tous.
Je ne dis rien de plus. Je ne me satisfais pas d’un monde où les gens de gauche n’écouteraient que des discours de gauche et les gens de droite idem. Ce serait le plus sûr chemin vers la bêtise.

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Mais laissez le public choisir ! Et puis ce souci du contradictoire est à géométrie très variable. D’ardents défenseurs du droit au blasphème ont leurs vapeurs dès qu’on professe une opinion hétérodoxe. Dites que MeToo est une catastrophe, opinion parfaitement blasphématoire et on verra qui vous défend !

Pardon d’avoir l’ambition de m’adresser à l’intelligence et à la raison plutôt qu’aux passions, à la rage, aux excès. Pardon aussi de vous dire que les médias ont une responsabilité : ne pas transformer le peuple en une foule féroce car je sais ce que peut être la foule et je m’y inclus. Vous faites comme si vous n’aviez pas conscience qu’un média peut aussi devenir une arme redoutable pouvant mener au pire. Les règles sont nécessaires pour l’éviter. Ce sont des équilibres très délicats que l’on n’atteindra pas si on se comporte de tous côtés comme des éléphants énervés dans un magasin de porcelaine. Dire que MeToo en bloc est une catastrophe me semble être une ânerie mais libre à vous de le dire.

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Eh bien oui, et c’est heureux. Une sorte de rapport sur CNews a été bricolé par une sorte d’universitaire qui l’a regardée pendant quinze jours il y a deux ans. Entre autres griefs, il s’étonne que CNews fasse d’autres choix éditoriaux que BFMTV, comme si BFM était l’étalon-information. Il déclare que X ou Y est d’extrême droite parce que Le Monde le dit. Et la plainte de RSF est fondée sur ce rapport….

Je n’ai aucune idée de ce qu’est ce rapport mais il est évident que seul un rapport objectif réalisé éventuellement par les services de l’Arcom serait recevable.

La décision du Conseil d’Etat rompt avec sa jurisprudence précédente (et avec celle de la CEDH) qui estime que plus il y a de pluralisme externe (multiplicité des médias), plus chacun peut avoir de liberté éditoriale. Que vous inspire ce revirement ? Cet arrêt n’est-il pas dangereux pour nos libertés ?

Je ne le lis pas du tout ainsi. Il peut y avoir une infinité de journaux écrits mais uniquement quelques chaines TNT. La pluralité est limitée par les ondes. On ne pourra jamais avoir autant de chaines que d’opinions donc il faut une diversité d’opinions à l’intérieur de ces chaines mais vraiment, je ne comprends pas comment on peut réclamer d’avoir une chaîne univoque. Toute chaîne, publique ou privée, qui s’offre au public, contrairement à la presse écrite que l’on fait la démarche d’acheter, se doit de s’ouvrir à un pluralisme minimal d’opinions.
Si l’on cherche à éclairer plutôt qu’à abrutir, c’est quand même bien de permettre à des avis divergents de s’exprimer. Ça vaut pour tout le monde.

Mais personne ne conteste ça ! Vous avez déjà regardé CNews ? Pensez-vous que je travaillerais dans un média qui interdit la contradiction ?

Je regarde CNews régulièrement comme tous les autres médias d’information. Mais je vous retourne la question… Regardez-vous cette chaine quand vous n’y êtes pas ? Hier, j’ai vu Onfray et quoi que je puisse en penser, il développe une pensée et c’est intéressant et pas si fréquent d’avoir le temps de s’exprimer si longuement. Mais ce que je vois dans la même journée, c’est que lorsqu’un invité n’est pas dans la ligne, on lui tombe dessus à plusieurs avec, en leader, un journaliste présentateur hyper-offensif plutôt qu’adoptant une position de Monsieur Loyal. Cela crée un déséquilibre total. On semble chercher l’écrasement d’une idée par une autre, le ricanement et non l’échange. Il faut comprendre que ca ne donne pas une folle envie d’y aller à certains.

Pardon, mais dans les débats, quelle que soit la chaîne, il y a souvent des gagnants et des perdants. Mais je ne vous convaincrai pas. Le secrétaire général de RSF oppose le bon journalisme au commentaire. Est-il légitime pour décréter que le bon journalisme c’est ceci ou cela ? N’est-il pas inquiétant que cette personne soit chargée des Etats généraux de la presse ?

Vous me ramenez à la polémique… Evidemment le commentaire fait partie du journalisme sinon il faudrait supprimer toutes les chaînes infos et pas seulement CNews. Cela n’a pas de sens. Informer le public cela passe par des rappels de faits, des analyses, des enquêtes, des éditoriaux, des interviews, des débats… Pour autant, l’information ne peut pas être non plus que du commentaire. C’est aussi cette diversité des formats qui fait une information de qualité.

Christophe Deloire, de Reporters Sans Frontières, photographié en 2023 © CELINE BREGAND/SIPA

Vous, que reprochez-vous à CNews ?

Mais ce n’est pas la question. Je ne veux pas personnaliser, c’est le piège à éviter si l’on veut avancer. Je peste en permanence contre tous les médias car j’ai une immense ambition les concernant et donc une profonde exigence. Ils sont un rouage démocratique majeur. Ils devraient selon moi par exemple être bien davantage un rempart contre la violence des réseaux sociaux, qu’ils suivent trop souvent, ou un antidote contre tous les conspirationnismes.

Ceux qui prétendent que CNews n’est pas pluraliste refusent d’y aller parce qu’ils ont peur d’être contaminés. Dans le camp du Bien, on refuse la confrontation des arguments, on agite des gousses d’ail. D’ailleurs, la plupart des gens veulent une télé avec laquelle ils sont d’accord.

Eh bien si c’est le cas, alors personne ne pourra rien reprocher à CNews en matière de pluralisme. Il suffira que les dirigeants de la chaîne se présentent avec leur liste d’invités, l’histoire sera réglée avec un brevet de bonne conduite et ils en sortiront gagnants. On ne va évidemment pas reprocher à un média un manque de pluralisme s’il est dû aux invités qui ne veulent pas venir. Quant à moi, dans l’hypothèse ou je serais visé par votre question, on ne peut pas me faire ce reproche. Je refuse neuf invitations sur dix mais je fais très attention à parler sur tous les médias (ce que je prouve aussi par cette interview, puisque c’est à vous que j’ai réservé mon expression sur ce sujet). En revanche, on ne peut pas non plus imposer à une personne publique d’accepter un format qu’il n’aime pas, par exemple celui du débat à six ou dix. Cela fait bien longtemps que je refuse ce format sur CNews, comme sur BFMTV ou LCI. C’est aussi ma liberté et sur CNews, j’ai l’impression que c’est un format très présent – mais je me trompe peut être.

Vous n’étiez pas du tout visé, je sais que vous n’êtes pas sectaire. Ceci étant, il faut s’interroger sur les raisons du succès de CNews. Beaucoup de gens se sentent représentés par cette chaîne. Avant, disent-ils, aucune télévision ne parlait de ce qu’on vit. N’est-ce pas excellent pour le pluralisme ?

Il ne me viendrait pas à l’idée une seule seconde de contester que la « sensibilité conservatrice » comme vous l’appelez, puisse avoir son canal de diffusion parce que sinon, demain, ce sera la gauche qui ne pourra plus s’exprimer. En revanche, s’agissant de la télévision, média de masse, il faut des règles du jeu plus strictes que pour le papier. La diversité d’opinion est indispensable, le lavage de cerveaux est détestable. Je pense que nous pourrions a minima nous retrouver sur cette évidence. Et pour anticiper vos protestations, je parle de la droite comme de la gauche. Il y a d’autres médias que CNews sur lesquels un peu plus d’équilibre dans le temps d’expression serait bienvenu.

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On l’accuse également de trop parler d’insécurité et de « transformer des faits divers en faits de société ». Mais qui décide que ce sont des faits divers ? Peut-être que les autres n’en parlent pas assez.

Peut-être mais peut-être aussi que les faits divers font l’objet d’instrumentalisation pour créer de la peur. Certains considèrent que des médias sont dans le déni du réel par bonne conscience, et d’autres dans la surexploitation hystérique de faits divers. Qui a raison ?

Pour moi, aucun doute. Il y a des médias qui veulent nous interdire de voir ce que l’on voit, vous l’avez vécu aux premières loges sur la question de l’islamisme et du séparatisme. 

Certes, mais ceux qui parlent de surexploitation ont aussi raison. Je n’ai aucune légitimité pour le dire mais ce double grief est audible.La seule solution pour en sortir, c’est que différents points de vue puissent s’exprimer. Certains ont l’air de considérer que l’information c’est du foin pour les vaches. Tant que la vache est contente, on ne lui change pas sa nourriture. Moi je considère qu’une nourriture variée c’est bon pour la santé.

J’attendais une levée de boucliers des journalistes contre le Conseil d’Etat sur le thème « je ne partage pas leurs idées mais je me battrai etc. ». Mais une partie des médias applaudit, et l’autre n’a réagi que quand elle a compris qu’elle pourrait aussi être visée. Bref, personne ne défend la liberté des autres. Est-ce inquiétant ?

L’humain a tendance à vouloir interdire ce qui le choque. Cela me désole à un point que vous ne pouvez imaginer. On n’a toujours pas compris qu’ainsi nous étions les artisans de notre propre malheur car l’interdiction revient toujours en boomerang.

Finalement, on n’a pas trouvé le moyen satisfaisant de réguler l’expression publique. Regardez ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Dans ces conditions, le système américain de liberté non pas totale mais très large n’est-il pas préférable, dans la mesure où il permet réellement la confrontation des opinions ?

Eh bien justement, cette question démontre a quelle point j’ai raison ! Aucun pays démocratique ne protège autant la liberté d’expression dans les textes et regardez la situation : la gauche woke comme la droite trumpiste s’en donnent à cœur joie pour canceller des livres, des films, virer des profs pour un mot, dresser de constants procès en sorcellerie, interdire des représentations féminines dénudées dans des tableaux…
Voilà ce que donne une société polarisée à l’extrême. Les médias ont un rôle à jouer pour l’éviter.

Que ce soit en matière de liberté sexuelle ou de liberté d’expression, on voit toujours la gauche en première ligne pour les limiter. Comment la gauche est-elle devenue le parti de la censure ?

Pardon mais pas « la gauche ». Je suis de gauche et j’ai consacré ma vie à me battre contre la censure. Je ne peux toutefois vous en vouloir de cette généralisation car il arrive que je m’en rende moi-même coupable tant cette situation me déprime et m’inquiète. Oui, il y a une gauche de la censure, il ne serait pas honnête de le contester. Mais il y a une autre gauche restée attachée aux libertés. Elle n’a malheureusement plus beaucoup de porte-paroles politiques.

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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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