Un roman sur l’attrait du Mal, la volupté, l’amour de l’art? Captivé par le sexe et la mort, Richard Malka s’attache à donner une forme mythologique à quelque chose de sa vie intime.
Ce n’est pas un roman anodin.
Richard Malka écrit sans frein comme on se vide, comme on se venge, comme on s’exorcise de certains penchants.
Je doute qu’il devienne un jour un auteur scolaire entre Ronsard et Montaigne, c’est en revanche un conteur accompli. Dans la lignée d’Edgar Poe ou Barbey d’Aurevilly – on peut aussi songer au Parfum de Patrick Süskind – ce livre le montre avec brio, jusqu’à flirter hardiment avec l’outrance, le grand-guignol, le mélo, sans crainte de s’y brûler les ailes.
Son héros, Adrian von Gott, est un vampire qui dévore l’âme de ses victimes et s’abreuve de leurs désirs plus que de leur sang. Un mixte entre Nosferatu et Dorian Gray avec la puissance féerique (et la séduction) de Christophe Lambert dans Highlander ! Un dévoyé. Un maudit. Et peut-être plus encore un homme blessé, ivre d’étreindre et incapable d’aimer, dont le rêve inassouvi serait d’être enfin regardé avec douceur.
Il n’est pas si simple de s’arracher à son insomnie et de rompre avec la malédiction d’être né quand on est immortel ! Sa destinée ne sera qu’une fugue éperdue et maladive à travers le temps, de Venise à Constantinople, de Harlem à Samarcande. Un voyage intérieur puisqu’il lui est interdit de se quitter.
Richard Malka ne masque sa sensibilité que pour mieux l’exhiber ; il cède avec candeur à ses inclinations morbides en feignant de ne pas en être effaré ; il s’oblige à décrire non pas ce qu’il a vécu mais ce qu’il a subi dans son tréfonds, ce qu’il a imaginé, pour mieux nous dire qui il est. Bref, il écrit comme un jeune homme. A-t-il été comme son personnage un enfant laid et malingre, brimé par ses camarades et trop-aimé de ses parents ? Pourquoi celui-ci est-il si enclin à fuir ? D’où lui vient sa frénésie de collectionneur, son goût des sévices, sa rage d’en découdre ?
À sa façon, Richard Malka semble donner une forme surnaturelle, exagérément romanesque et symbolique, à quelque chose de sa vie intime – par une sorte d’atavisme de l’anxiété ?… Il oscille entre la science et la sorcellerie, l’Histoire et le fantastique, le sexe et la mort, comme pour élucider les sommations obscures qui le hantent. Son héros est moins un criminel qu’un aventurier, affublé d’un pouvoir ou d’un vice – d’une faille par où entre la lumière.
On sait que Richard Malka est avocat, par métier et par vocation. N’y a-t-il pas chez tout avocat, s’il est sérieux, un fanatique refoulé, un tueur d’opérette, un monstre capable de s’accointer rêveusement aux pires méfaits ? Et n’est-ce pas le privilège du romancier de s’ouvrir les veines pour de faux et de transformer ses perversions imaginaires en motifs délectables – si ça lui plaît ?
Richard Malka, Le Voleur d’amour, Grasset, 2021, 218 p.