Gil Mihaely. Mardi, la Cour de justice européenne a rendu une décision autorisant les entreprises à interdire au travail le port de tout signe d’appartenance religieuse, politique ou philosophique. Cela concerne notamment le voile islamique. Cette décision change-t-elle la législation française dans ce domaine ?
Richard Malka. La Cour de justice de l’Union européenne a en fait prononcé deux décisions, l’une concernant une salariée française, ingénieur consultante, et l’autre une salariée belge standardiste. Pour la première fois, cette juridiction se prononce sur la possibilité d’imposer la neutralité religieuse au sein du monde du travail et donc sur la possibilité de restreindre l’affichage ostentatoire de signes religieux. il va de soi que cela concerne toutes les religions et toutes les manifestations d’appartenance à une religion. Bien évidemment, il y a des conditions pour que ces restrictions soient jugées non discriminatoires. Et c’est bien normal car il faut pouvoir vérifier que l’exigence de neutralité ne se transforme pas en arme de discrimination d’une religion plutôt qu’une autre. Ainsi, l’entreprise doit avoir prévu dans son règlement intérieur une exigence de neutralité religieuse. En outre, la restriction doit être proportionné au but recherché et légitime, ce que chaque juridiction nationale vérifiera au cas par cas.
Si cette jurisprudence avait existé il y a cinq ans, aurait-elle changé le cours de l’affaire de la crèche Baby Loup dont vous défendiez la directrice poursuivie pour avoir licencié une employée qui souhaitait garder le voile pendant le travail ?
Dans l’affaire Baby loup, nous étions finalement parvenus à faire juger après un long et difficile combat mené bien souvent sous les invectives, que le contact d’une salariée avec des enfants justifiait l’interdiction du voile. Les décisions de la CJE vont plus loin puisqu’il est estimé que le contact avec la clientèle de l’entreprise constitue également un motif légitime. Je m’en réjouis évidemment alors que l’irruption du fait religieux dans l’entreprise pose des problèmes considérables qui avaient étaient soulignés par le Haut Conseil à l’intégration dans un rapport du 1er septembre 2011. C’est au demeurant un désaveu cinglant de l’Observatoire de la laïcité de Jean-Louis Bianco qui nous avait honteusement tourné le dos dans l’affaire Baby Loup. La Cour a fait preuve de plus de courage. Cette jurisprudence, qui nous aurait facilité la tâche dans l’affaire Baby Loup, s’applique dans tous les pays de l’Union européenne. Autrement dit, plus personne ne pourra prétendre, comme ce fut le cas à l’époque Baby Loup de la part de nombreux juristes, de la Halde, des habituels sociologues hurlant à « l’islamophobie » et même de la chambre sociale de la Cour de cassation, qu’il est » interdit d’interdire » l’expression du fait religieux dans le monde du travail. Ces décisions sont ainsi la consécration d’un long combat et opèrent une clarification heureuse de la règle de droit dans ce domaine. Je rappelle simplement que l’objectif recherché au travers de la neutralisation religieuse du domaine de l’entreprise n’est autre que de permettre une coexistence harmonieuse de tous sans être confronté au prosélytisme de chacun.
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