Toute politique a besoin de communication pour s’épanouir mais la communication peut très vite s’avérer artificielle, hors-sol, voire manipulatrice si elle en vient à contredire les promesses dont son héraut était porteur. Jusqu’à présent, la communication politique du nouveau président s’est distinguée de celles de ses deux derniers prédécesseurs par son formalisme, son aptitude à respecter une certaine bienséance institutionnelle, sa capacité à produire un imaginaire susceptible de rassurer un pays qui culturellement après des décennies de domination intellectuelle à gauche a basculé à droite. Quelque part, la com’ politique du jeune Macron a parfaitement su montrer patte blanche. Elle a balisé une entrée de bonne facture dans la fonction.
Une jolie maîtrise de l’art du prélude…
Là où Sarkozy et Hollande avaient échoué, nonobstant une expérience politique plus éprouvée, le nouveau président a déployé une jolie maîtrise de l’art du prélude. Bien fait , bien joué , et rien à redire. L’esthétique a servi le politique et la politique n’est pas sans lien avec l’esthétique… Après la cérémonie d’investiture, les signaux très « old fashion » de la composition gouvernementale, les séquences internationales du sommet de l’OTAN et du G7 sont venues conforter cette bonne impression d’ensemble.
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Mais la communication a ceci de paradoxal qu’elle peut beaucoup et bien peu : beaucoup car elle produit une atmosphère susceptible d’entraîner l’adhésion, ou à tout le moins une certaine bienveillance ; bien peu car la symbolisation du monde qu’elle génère ne peut se dispenser de l’action, mais surtout de la mise en conformité des actes et des paroles, de l’articulation entre les deux fondements qui, selon l’immense sociologue Max Weber, sont au principe de l’organisation de l’activité politique : l’éthique de la responsabilité et l’éthique de la conviction.
… rattrapée par l’ombre d’un doute
S’il est encore prématuré, incertitude législative oblige, pour juger de l’action à venir du nouveau président, la question de la cohérence de la geste macronienne se pose d’ores et déjà. Elle interroge la solidité de l’identité, le fond de marque, et in fine la sincérité de l’engagement. L’épreuve est d’autant plus discriminante qu’elle s’inscrit à la suite de la déflagration d’une campagne électorale marquée par l’enjeu moral. Dans ces conditions, les révélations par la presse d’un épisode du passé professionnel du ministre de la Cohésion des territoires percutent de plein fouet l’un des fondamentaux du système de valeurs revendiqué par le nouveau pouvoir : l’intégrité sans faille, la probité dénuée d’aspérité. La fraîcheur présidentielle se voit ainsi rattrapée, à défaut d’être foudroyée en plein vol, par l’ombre d’un doute. Le silence du Garde des sceaux, François Bayrou, loin d’effacer la suspicion, surinfecte la plaie, au moment où se forge une énième loi censée moraliser la vie politique.
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Potentiellement, tous les paramètres constitutifs de la duplicité politicienne (soupçon de double discours, de dissimulation, du « deux poids-deux mesures », etc.) sont en mesure de s’ajuster pour fragiliser la jeune marque du jeune monarque qui, par une défense aléatoire du soldat Ferrand, s’en remet à l’exercice sacrificiel de la justification en continu. Or, la communication de crise ne se satisfait pas de légitimation technique : elle exige de restaurer une réputation, de rétablir la cohérence, de certifier un discours par des actes… La thérapie discursive (« un acte de droit privé » pour le porte-parole du gouvernement, « ‘de l’argent privé » pour celui de La République en marche!) non seulement ne reprogramme pas le logiciel (un acte de droit privé n’exclut pas que le droit et l’argent mutualiste engage celui des sociétaires) mais elle exacerbe la critique, entretient la défiance, propage l’incertitude et perpétue cette idée selon laquelle décidément les vieilles pratiques d’accommodement ont la vie dure.
Une partie des Français se prend pour Antigone
L’argumentation technique, quand bien même serait-elle fondée, ne dissipe pas tel un pare-feu, loin s’en faut, le virus : elle le dissémine parce que la réputation constitue aujourd’hui un capital qui, au-delà du seul droit positif, en appelle à des critères supra-légaux ou supra-réglementaires. Lorsque Créon, le politique, prétend à une vérité, Antigone lui répond que cette vérité est relative, voire galvaudée, pour ne pas dire falsifiée et contaminée. Une partie du corps social a désormais le visage enfiévré d’Antigone. Quelque chose d’imprescriptible, d’une transcendance propre au droit naturel affleure dans l’exigence de probité que revendique nos sociétés de jugement lassées par des décennies de désenchantement moral. Les peuples comme les dieux ont soif. A tort ou à raison – chaque séquence historique est lourde de ses mystères et de sa dynamique propre- ils ont soif non pas d’une société idéale mais de gouvernants, de responsables exemplaires dans lesquels ils ne se reconnaîtront pas forcément mais qu’ils ont d’abord envie de respecter. « La promesse de l’aube » de ce nouveau quinquennat obéit quelque part aussi à cette demande de sens. La communication suspectée de tous les maux sera d’un faible secours si l’épisode Ferrand se « feuilletonnise ». L’opinion n’a pas forcément raison mais les élites de tout bord se sont tellement fourvoyées que rien ne serait pire qu’un revers de main dédaigneux venant écarter des humeurs citoyennes. Au risque de réduire sa communication à de la production d’images, d’éléments de langage et de postures pour commentateurs complaisants, Macron, en disciple de Ricoeur, ne peut ignorer que l’acte de communiquer est d’abord tissé par une exigence de respect : le respect de l’autre, du récepteur qui n’est pas dupe , qui est tout aussi apte à l’intelligence de la situation que l’émetteur…
Macron a tout à perdre
L’épreuve Ferrand n’est autre qu’un baptême du feu. À louvoyer, le Général Macron n’a rien à gagner mais tout à perdre : non seulement le contrôle de sa com’ mais la crédibilité de ses engagements. Aux échecs, chacun sait que le sacrifice d’une pièce autorise parfois des gains bien supérieurs à la perte consentie. Il en va de même en politique. A défaut, le risque est grand que la moralisation en soit réduite à regagner les rayons déjà bien encombrés de la petite boutique des slogans périmés… La mauvaise com’ aura alors chassé encore une fois la communication responsable.
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