Ras la casquette de cet « esprit du 11-Janvier » qui a encore hanté tout le mois de février, de la 4e du Doubs au 49-3 de Valls en passant par les vaticinations de la mère Fourest.
Heureusement, dans la vraie vie, il y aura quand même eu quelques bonnes nouvelles : Riad Sattouf couronné à Angoulême et Timbuktu sept fois aux Césars – et moi qui, tout compte fait, n’ai toujours pas viré à gauche…
INVESTISSEZ DANS UN RIAD !
Dimanche 1er février/Enfin un mois qui commence bien ! Le Festival d’Angoulême couronne L’Arabe du futur, BD autobiographique de Riad Sattouf, ou plus exactement son volume 1 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984).
Ne me dites pas que vous êtes trop cultivé pour connaître Riad Sattouf ! D’origine syro-bretonne, ce type-là est « fou pas mal », comme disent les vieux Cajuns francophones. Il est l’auteur d’une série dessinée intitulée La Vie secrète des jeunes (publiée dans Charlie de 2004 à 2014) et l’inventeur de Pascal Brutal, un antihéros aussi aberrant que le monde « futuriste » dans lequel il vit. Accessoirement, Riad a remporté en 2010 le César du meilleur premier film pour Les Beaux Gosses.
Quant à L’Arabe du futur, le mieux est encore de citer in extenso la 4e de couverture : c’est « l’histoire vraie d’un enfant blond et de sa famille dans la Libye de Kadhafi et la Syrie d’Hafez Al-Hassad ». Dévendeur, le pitch ? Mais c’est ça, la façon Sattouf ! Pas vraiment le genre « gags à gogo » ; mais sous son trait, ses souvenirs d’enfance se changent en conte.
La recette est plus simple à décrire qu’à reproduire : sens de l’observation + distance = ironie bienveillante. Ainsi du titre, L’Arabe du futur : c’est celui que son père, laïc et progressiste, espère contre vents et marées voir émerger des brumes obscurantistes, grâce à l’éducation. Riad Sattouf donne à penser en souriant – et c’est toute la vie qui devrait être comme ça ![access capability= »lire_inedits »]
BARRÈS COLLABO ?
Lundi 2 février, 21 h 30/Au micro de Taddeï, qui tient salon tous les soirs dans son « Europe 1 Social Club », Me Jean-Marc Fédida parle de son dernier livre, L’Affaire Maurras (cf. le compte-rendu signé Marie Céhère sur Causeur.fr).
« Vous qui avez 25 ans, qu’est-ce que le nom de Maurras évoque pour vous ?, demande soudain Taddeï à la jeune romancière Cécile Coulon.
– Pour moi, répond l’interpellée, ce nom est associé à celui de Maurice Barrès, un autre écrivain qui, je crois, était un peu dans le même cas…
– C’est différent, explique alors patiemment Fédida. Maurras est un militant politique, qui va porter son combat jusqu’aux côtés du maréchal Pétain. Ce qu’on lui reprochera, à son procès, c’est surtout ses dénonciations de familles gaullistes, juives ou démocrates-chrétiennes. Barrès, lui, n’est jamais rentré dans cette félonie-là ; d’ailleurs, il ne fera l’objet d’aucune poursuite à la Libération. »[1. Note à l’attention de Jean-Marc et de ses camarades de classe : Barrès a été arraché à notre affection en 1923.]
Elle est pas bonne, celle-là ?
« DANS LE REPTILIEN, Y A PAS MARX ! »
Vendredi 6 février/« C’est la nuit qu’il est beau de croire en les Lumières ! » Ainsi songé-je en voyant, sur la chaîne Histoire, Régis Debray parler du tome II de ses « Dégagements » : Un Candide à sa fenêtre.
Ce soir-là, il est l’invité de l’émission « Historiquement show », où Michel Field, avec le concours de Jean-François Colosimo dans le rôle du sparring partner, l’interviewe sur le « retour du religieux ». Eh bien ça n’est pas une Bonne Nouvelle pour les hommes de Progrès, et Debray ne se le cache pas. Au fil du débat, il le reconnaît même successivement sur tous les tons :
– Lyrique : « Je suis un fils des Lumières qui veut expliquer pourquoi il y a de la nuit, et pourquoi la nuit n’est pas effaçable par le jour. » Beau comme une crèche !
Désabusé : « On nous avait dit : “Une école qui s’ouvre, c’est un temple qui se ferme, et le progrès de la science fera reculer les croyances.” (…) En 1950, le communisme disait qu’il enterrerait les religions en l’an 2000 ! Eh bien, ce sont les religions qui ont envoyé le communisme au musée. »
En disant ça, Régis sait bien qu’il va passer une fois de plus pour un réac aigri – voire pire, un social-traître. Mais qu’importe le qu’en-dira-t-on ? L’honnêteté intellectuelle avant tout ! « Dans nos schémas, il y avait un avant obscurantiste, tribal, fanatique et un après rationnel, émancipé, sympathique… Tout ça fout le camp sous nos yeux ! » Non sans panache, Debray se refuse pourtant à quitter le camp du Progrès, aussi calciné qu’il soit… Où irait-t-il, aussi ?
Pour un esprit aussi exigeant que le sien, il faudrait au moins une conversion à la vraie religion (la mienne), et on sent bien que c’est pas encore pour tout de suite. En attendant, confronté à ce tragique accident du sens de l’Histoire, il fait la seule chose à faire dans ce cas-là : un constat.
Au romantisme et à l’abattement succède alors la lucidité : « Je suis un enfant des Lumières, mais j’ai fait mienne la devise Ode sapere ! Ose savoir pourquoi il y a du croire, et pourquoi le savoir n’élimine pas le croire. » Même que notre chercheur a trouvé ! « On assiste à quelque chose que n’avaient pas prévu les progressistes : en cas de crise, c’est l’archaïque qui remonte. »
Dans les strates de l’évolution humaine, creuse-t-il, le religieux est largement antérieur au politique. Ce dernier l’avait même supplanté en tant que sacré mais voilà que, ces derniers temps, il ne tient plus son rang. Ainsi s’explique la revanche du religieux, diagnostique le docteur Debray ; c’est triste, surtout pour lui, mais c’est comme ça.
J’aime cette façon de mettre ensemble sur la table ses tripes et ses travaux, même contradictoires. Rigueur et profondeur quoi qu’il en coûte ! C’est ça, la Debray touch. Il faut l’entendre, en conclusion, évaluer sa propre pensée à l’aune de l’anthropologie : « Le credo progressiste, qui est encore le mien, est inscrit dans le cortex frontal antérieur (dit-il en se frappant le front.) C’est beaucoup moins solide que l’hypothalamus, et le reptilien en général ! Dans le reptilien, y a pas Marx. »
En gros, si j’ai bien compris, l’avenir du Progrès passe par une hypothalamotobie laïque, gratuite et obligatoire. Il est pour, Régis ?
LE COUP PASSA SI PRÈS QUE LE CHAPEAU TOMBA…
Dimanche 8 février, 23 h 59, quelque part dans le Doubs/Ouf ! On a eu chaud… Toute la classe médiatico-politique était sur les dents, prête à appeler à la mobilisation citoyenne. À 836 voix près, il fallait redescendre dans la rue contre « la Bête immonde qui monte ». Là au moins, on est tranquille jusqu’aux départementales de mars.
HEUREUSEMENT, IL Y A FOUREST !
Lundi 9 février, 7 h 19/Sur France Culture, chronique post-doubienne de l’épastrouillante Caroline Fourest. J’écoute en me rasant – mais pas à cause d’elle, bien au contraire ! Plus je l’entends, plus le mystère Fourest s’épaissit : sincèrement sotte, ou juste arriviste ?
Sans surprise, mes ami(e)s misogyn(e)s plaident pour la première hypothèse. Mais j’aime aussi la version d’Esther Benbassa : « Fourest, c’est une affairiste qui fait commerce d’idées. (…) Ça lui a permis de grimper à toute vitesse les marches de la notoriété. »
Entre les deux, à vous de juger : « L’esprit du 11-Janvier, nous explique Caroline, a permis de remettre en mouvement les républicains, et de barrer la route in extremis à une troisième députée frontiste. » Si c’est ça, à coup sûr ça valait bien 17 morts ! Certes on n’a pas vraiment de preuve ; mais, compte tenu de l’enjeu, le doute devrait suffire. « On ne sait pas quel score aurait fait le FN sans la Marche républicaine… » C’est bien vrai, ça ! Peut-être la démocratie doit-elle sa courte victoire aux nouveaux abonnés de Charlie dans la 4e du Doubs.
Reste un grave problème, aux yeux de Cafou[2. C’est comme ça que je l’appelle, dans l’intimité de mon Moi.] : « Le Front républicain est éparpillé, alors que le Front national est soudé. » Ça aussi ma foi, c’est bien vrai ! J’y avais pas pensé, mais ce déséquilibre est injuste, et même, si ça se trouve, dangereux pour nos libertés.
Déjà, avertit la chroniqueuse, « le FN se croit au-dessus des lois et de la morale. Ses militants et ses cadres multiplient les menaces publiques envers les journalistes… » À quand l’huile de ricin pour tout le monde ? « Les temps sont proches ! », annonce à grands coups de gong Philippula la prophétesse. À l’entendre vaticiner, on croirait que les gars de la Marine, avec leurs alliés de revers sarrazins, ont déjà arraisonné le vaisseau France et s’en sont rendus maîtres ; depuis un certain temps même, vu tous les maux dont elle les rend responsables.
Pas folle, la guêpe a donc pris le maquis, entre autres à France Culture, au Monde, sur tous les plateaux télé et dans les meilleures librairies. Grâce à cette subtile stratégie d’ubiquité, impossible pour les tueurs (islamofascistes ou fascistes pur porc, quelle différence ?) de la « loger ». Paranoïa ? Mais ceux qui disent ça ne se rendent pas bien compte : elle est l’ultime digue contre la marée vert-de-brun !
Pour plus de détaux, on consultera avec profit son Blog de Caroline Fourest, très complet. Sainte Caro y corrige même de sa blanche main, en une petite trentaine de pages, sa fiche Wikipédia – régulièrement salopée, paraît-il, par « les islamistes et les militants d’extrême droite ». Ces salauds-là, s’indigne-t-elle, « se donnent la main » pour y insérer d’odieuses calomnies, comme quoi elle serait « proche du Grand Orient », voire qu’on l’aurait traitée de « menteuse ».
Dégueulasse, non ?
ESPRIT DU 11-JANVIER, ES-TU LÀ ?
Mercredi 11 février/ Ça devait arriver ! Voilà maintenant qu’on nous enjoint de célébrer le premier mensiversaire du 11-Janvier. « Ce n’est plus de la politique, c’est du spiritisme ! » commente, non sans esprit, Mme Le Pen. Aujourd’hui en tout cas, il n’est question que de « ça » dans les télés, les radios et sur les réseaux sociaux – à ne pas fréquenter sans bottes Aigle. Reste à savoir ce que la fameuse Marche a vraiment signifié –par exemple pour les marcheurs… Émotion légitime contre la barbarie djihadiste ? Unité nationale ? Front républicain ? Tourisme ??
Sur mon Facebook à moi (fréquentable même en mocassins), un certain Ze Lord esquisse un pronostic, inspiré lui aussi :
« 11-Janvier, es-tu las ? – Jamais ! » Je serais moins optimiste encore. Certes, l’« esprit » coin-coin commence à me gonfler grave. Mais si on nous fait un coup à la Twin Towers, je ne réponds plus de rien.
MASSACRE AU 49-3
Mardi 17 février, 16 h 25/À la surprise générale (?), le Premier ministre engage la responsabilité de son gouvernement sur la loi Macron. Je ne suis pas politologue, ni même médium, et pourtant ça fait bien une semaine que j’y pensais sous la douche[3. Rassurez-vous, j’en suis sorti plusieurs fois entre-temps.].
Bien sûr les « frondeurs » sont très remontés contre leur gouvernement, mais pas au point de se représenter devant leurs électeurs. Quant au pouvoir, depuis le début, il négocie avec ces chahuteurs le Taser dans la poche. Alors quoi ? Tous comptes faits et refaits, plutôt que de jouer à la roulette belge, Valls a préféré se la jouer Monsieur 100 000 volts. Il est où, le scoop ?
À venir, sans doute ! D’abord, Manuel n’a plus le droit de dégainer jusqu’à l’été. Autrement dit, fini les « grands textes d’orientation », c’est-à-dire l’action politique. Place aux petits toilettages qui ne mangent pas de pain. C’est bien la peine d’être sous la Ve… Sans compter qu’entre-temps, il y aura la bataille de Poitiers ! Début juin, le congrès du PS s’annonce animé, surtout avec le retour de Martine Guerre, leadeuse naturelle des frondeurs.
En trois jours, on attend mieux de ce show que du gunfight foireux Copé-Fillon (6 mois, 2 morts seulement). Là, si tout se passe bien, ça va être du Tarantino ! D’ailleurs je gage que les caméras de BFM sont déjà installées, pour avoir les meilleurs angles.
« BASILE, TU VIRES À GAUCHE ! »
Mercredi 18 février/À force de m’interpeller en ces termes, pour rire j’espère, la reine Élisabeth m’incite quand même à faire mon examen de conscience. Certes je préfère Coluche à Desproges ; mais c’est juste parce que sa palette était plus large. L’auguste aurait pu faire clown blanc ; pas l’inverse.
Si c’est à cause de Piketty, pas de problème non plus. Il n’y a qu’à lire ses contempteurs de gauche pour comprendre la manip’ : sous ses faux airs de mutiné, le mec n’a pour but que de « sauver le capitalisme » – alors que l’objectif est d’en finir une bonne fois pour toutes avec lui, je vous le rappelle.
Reste mon enthousiasme immodéré pour Bergoglio, qui n’est quand même pas Dieu – s’Il existe. Décidément, ce pontife-là aime tout le monde sauf le Vatican : les gays, les immigrés, les athées et même les musulmans. D’ailleurs nos amis les cathos intégristes, quand ils parlent de lui, mettent désormais volontiers son titre entre guillemets – en attendant les parenthèses[3. « T’as pas le portable d’Ali Agça ? »].
C’est pourtant simple à retenir : ne pas confondre le spirituel et le temporel, ni le rôle du pasteur avec celui du politique. On n’a pas les mêmes responsabilités selon qu’on est pape (même François) ou président (même Hollande).
Cela dit, ça pourrait être drôle que ces deux-là intervertissent leurs charges, ne serait-ce que pour une soirée d’Halloween. Et devinez qui se débrouillerait le mieux : l’énarque au Vatican, ou le jésuite à l’Élysée ?
LA DROITE DU PÈRE
Vendredi 20 février/ La seule droite qui vaille, si m’en croyez, c’est la « droite du Père » à l’heure du Jugement dernier. Tâcher d’être, ce jour-là, parmi les brebis plutôt que les boucs. Le reste n’est que vanité et poursuite de vent, comme disait L’Ecclésiaste.
Il n’y a qu’un clivage au fond, c’est-à-dire à mes yeux : penser le monde avec ou sans Dieu. Je sais bien que l’époque a tranché depuis longtemps[4. Deux cent vingt-deux ans déjà ! Comme le temps passe…]. Ça doit même être ça, mon côté réac. Je reste bloqué sur la phrase de Dostoïevski, déguisé pour l’occasion en Ivan Karamazov : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis. » Sans doute mais, quand tout est permis, qu’est-ce qui est encore marrant ?
« TIMBUKTU », POÈME SUR UN CAUCHEMAR
Samedi 21 février/Sept Césars pour Timbuktu. Une belle revanche pour Abderrahmane Sissako, reparti bredouille de Cannes – et un succès personnel pour moi ! Peu de gens le savent, mais moi aussi j’avais mis de l’argent dans le film : 4 places au Pathé Beaugrenelle pour la famille.
Rien de tel qu’un mouslime, ou assimilé, pour dénoncer la folie djihadiste. Encore est-elle, ici, convenablement décaféinée. Sinon je n’aurais pas pu emmener les enfants – ni a fortiori Barjot, qui craint moins Dieu que les effets spéciaux.
Chez Sissako, les assassinats sont discrets et les lapidations elliptiques. En revanche il excelle à nous montrer, en contrepoint, les petites tartufferies des détenteurs du vrai Coran. Sous leur uniforme de Police islamique, ils savent se montrer impitoyables envers leurs coreligionnaires « défaillants ». Mais les plus humains d’entre eux fument en cachette, convoitent la femme de leur voisin et, de frustration, finissent par décharger leur kalachnikov entre les dunes, sur un buisson suggestif…
Sans vouloir tout « spoiler », il y a aussi la résistance, passive ou farouche, des Tombouctiens de souche : adultes qui préfèrent crever, enfants qui jouent au foot sans ballon…
La seule mauvaise critique que j’aie lue, c’est dans Les Cahiers du cinéma : « Comment, alors que la réalité est toujours brûlante, la réduire à un axiome aussi usé que : la poésie, c’est mieux que l’oppression ? » Et accessoirement, comment peut-on poser des questions aussi con ? Apparemment, ces messieurs-dames des Cahiers auraient préféré un documentaire… Pas de problème ! Je me cotise, et j’offre à toute l’équipe un aller simple chez Boko Haram. Mais si jamais vous revenez, je veux de la réalité brûlante, OK ?[/access]
*Photo : wikicommons.
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