Revue Limite : des écolos ni bobos ni gogos
Par Daoud Boughezala
« Ce n’est plus le monde que j’ai connu, aimé, ou que je peux concevoir », déclarait Claude Lévi-Strauss au soir de sa vie. Les contributeurs de la revue Limite, que les Éditions du Cerf lancent en cette rentrée, reprennent l’adage à leur compte. Doubles héritiers du catholicisme social d’une Simone Weil et du personnalisme d’un Jacques Ellul, ces jeunes hussards, dont plusieurs plumes connues des lecteurs de Causeur, marchent dans le sillon du pape François et de son « écologisme intégral ». On regrettera certes la persistance de quelques tabous, à commencer par la question démographique, alors que la perspective d’une croissance humaine infinie dans un monde aux ressources finies devrait effrayer tout décroissant conséquent. Mais au diable mes divergences doctrinales. Ce trimestriel a l’immense mérite d’interroger les rapports de l’humanité à la technique en ces temps où la procréation médicalement assistée gagne chaque jour du terrain. Si cette publication à la maquette pop art continue sur sa brillante lancée, Limite devrait faire un carton – recyclé, ça va de soi.
Limite. Revue d’écologie intégrale, Éditions du Cerf.
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La laine fétide ? Par Marc Cohen
La styliste Stella McCartney, qui se proclame « végétarienne depuis sa naissance », est célèbre pour son opposition absolue à la fourrure. Logique avec elle-même, Stella prohibe aussi le cuir dans ses collections, y compris pour ses sacs et souliers, tous confectionnés à partir de « matériaux végétaux garantis durables ». Mais quand on est obsédée par la cause animale, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? La fille du moins rigolo des deux Beatles encore vivants vient donc d’appeler à boycotter aussi la laine, plus précisément celle originaire de Patagonie. En effet, la couturière a été horrifiée par une vidéo où l’on montrait des pratiques « inhumaines » dans le ranch du Sud argentin où elle se fournissait jusque-là. Sur cette vidéo, on voit en effet des gauchos égorger des moutons, ce qui est effectivement très désagréable à regarder… Sauf qu’on imagine bien que si ces bestioles ont été tuées par leurs pasteurs, ce n’est pas par sadisme mais pour préparer le repas du soir. Au fin fond de la pampa, il n’y a pas des masses de McDo et encore moins de lounge bars végétariens. Les éleveurs de moutons mangent donc leurs moutons, tout comme les cowboys font griller leurs vaches ou les bédouins leurs chameaux. Autant de pratiques barbares que Stella ne saurait cautionner, elle explique donc sur les réseaux sociaux que sa société travaille très sérieusement à l’élaboration d’une « laine végétale ». La laine végétale ? Pourquoi pas. Mais que se passera-t-il le jour où des écolos intégristes feront campagne pour qu’on cesse de martyriser les végétaux ? N’appartiennent-ils pas à la grande chaîne du vivant, au même titre que Michel-Ange, Rintintin ou le bacille du tétanos ? Que se passera-t-il le jour où des amis des plantes diffuseront des vidéos montrant d’innocents hévéas saignés vivants pour satisfaire la voracité des fashionistas avides de baskets à semelles compensées en caoutchouc de 8 centimètres d’épaisseur (un des musts de la ligne de souliers McCartney, 655 euros seulement) ? À mon avis, ce jour-là, Stella devra renoncer aussi à être complice du massacre des végétaux. En clair, elle se retrouvera à poil…
L’église au milieu du village
Par François-Xavier Ajavon
Jadis, en terre catholique, l’église était au milieu du village. Ça allait de soi. C’était immuable. Les hommes y trouvaient un paysage habituel. Dans les moindres plis du territoire, du Finistère aux confins de l’Alsace, en Creuse ou dans le Quercy, de Dunkerque à Tamanrasset (ou presque), l’église était au milieu du village, et la girouette à son sommet indiquait d’où vient et où va le vent… Puis on a construit les villes autour de parkings et de centres commerciaux, et les jours des églises furent comptés. S’ensuivirent l’invention de la télévision couleur et la mort de Dieu : il n’en fallait pas moins pour que les solennels édifices soient désertés. En conséquence de quoi, on commença à détruire ces maisons vides pour d’obscures raisons spirituelles et immobilières. Un exemple nous est donné dans le village de Mandeure (Doubs), où une église vient d’être rasée au bulldozer. Dans les faits, l’église Sainte-Thérèse de Beaulieu était condamnée : bâti dans les années 1930, ce vaste lieu de culte pouvait accueillir jusqu’à 500 personnes, mais n’attirait plus qu’une poignée de paroissiens. En outre, sa structure en béton présentait de longue date des signes inquiétants de fatigue et menaçait littéralement de tomber en poussière. Sainte-Thérèse avait donc été abandonnée et désacralisée en 2014, le diocèse ayant renoncé à un coûteux projet de rénovation… Mais quel symbole : l’église, édifiée en 1936, devait son existence à l’opiniâtreté (pour ne pas dire au militantisme) des fidèles locaux. À l’appel de l’abbé Barbier, qui deviendra curé de la paroisse, de nombreuses familles ouvrières avaient cotisé pour que l’édifice sorte de terre. Mieux : de nombreux travailleurs de l’usine des cycles Peugeot voisine avaient contribué, truelle à la main, à sa construction. Mais adieu la mémoire ouvrière ! Adieu ce passé récent d’une France fille aînée de l’Église ! Quand les gravats seront totalement évacués, une vaste opération d’aménagement commencera. Ce sont des logements écolos qui remplaceront Sainte-Thérèse, pour bobos dévots, fervents adeptes du développement durable… On imagine que le curé Barbier doit se retourner dans sa tombe, et on a raison. Il était enterré dans l’église au côté de sa mère. On a dû les exhumer avant démolition.
Russie : communisme et lutte des flashs
Par Daoud Boughezala
Lénine aimait définir le communisme comme « les soviets plus l’électricité ». Presque cent ans après la prise du palais d’Hiver, ses jeunes disciples ont dépoussiéré le grenier bolchevique au début du mois d’août en lançant un concours de… selfies ! Sacrifiant à la mode de l’autoportrait sur smartphone, les komsomols ont investi le réseau social russe Vkontakt pour inciter le plus grand nombre possible de Russes à se photographier devant l’effigie de Lénine. Ces néobolcheviques numériques voient dans ce concours géant « un moyen économique et efficace de populariser auprès de la jeunesse l’image de la figure de proue du prolétariat mondial ». Et ça marche ! En quelques jours, des centaines d’anonymes se sont immortalisés à l’aide d’une perche à selfies devant des effigies du leader bolchevique, appâtés par la récompense promise à l’auteur du plus beau cliché : une tablette numérique ! Comment dit-on « blasphème » en soviétique ? Au cas où on imaginerait la momie de la place Rouge se contorsionner dans son mausolée, le très orthodoxe président du Parti communiste Guennadi Ziouganov nous rassure : « C’est une idée très juste, d’autant qu’elle nous permettra de constater l’état des monuments à Lénine. Nous la soutenons totalement. Je suis sûr que Vladimir Ilitch nous en sera reconnaissant », a-t-il certifié dans les augustes colonnes des Izvestia. Moins d’une vingtaine d’années en arrière, le même Ziouganov s’était fait connaître du monde entier pour son échec sur le fil en finale de l’élection présidentielle russe de 1996. La fraude et la pression internationale permettant de coànjurerb la perspective d’un retour au soviétisme, Boris Eltsine avait opportunément été réélu. Depuis, entre deux selfies, Ziouganov dirige la principale force d’opposition au régime Poutine, qu’il combat à coups de discours-fleuves sur les-heures-les-plus-glorieuses de l’Union soviétique. Mais sans ostentation excessive : la quasi-totalité des statues de Staline ayant été déboulonnées dans les années 1960 par Khrouchtchev, cela condamne à l’avance tout hommage semblable au petit père des peuples. Dommage, l’oncle Jo a déjà plus de 60 000 fans sur Facebook !
Est-il licite de travestir l’islam ?
Par Ludovic Fillols
Depuis les Beatles et la minijupe, on sait que le Royaume-Uni est la terre promise des vraies révolutions culturelles. On a pu le vérifier récemment avec la diffusion le 24 août d’un documentaire caniculaire sur Channel 4, l’équivalent local d’Arte. Ce film met en scène les aventures d’Asif Quaraishi, un travesti londonien d’origine pakistanaise, plus connu sous son nom de scène d’Asifa Lahore. Il raconte les difficultés que rencontrent les gays dans les communautés asiatiques et/ou musulmanes. Un travail audacieux, qui n’aurait probablement jamais vu le jour sans le soutien obstiné de Ian McKellen, acteur shakespearien ouvertement gay, devenu star mondiale après avoir incarné Gandalf dans la trilogie du Seigneur des anneaux. « J’ai eu honte, confie Ian McKellen au Guardian, d’en savoir si peu à propos des drags et des trans dans ces communautés. » Il a donc choisi de donner un coup de main à ces « pionniers conduisant un wagon qui ira très loin ». Longuement interviewé lui aussi par le Guardian, Quaraishi/Lahore a profité de cette tribune pour expliciter sa vision de l’islam : « Je jeûne, je prie, je crois en un seul Dieu, je donne aux associations caritatives, j’ai été en pèlerinage. Je suis gay, je suis musulman, je suis un drag queen. Je suis anglais, pakistanais. Les gens pensent que tout cela ne devrait pas aller ensemble, mais hey, je suis là ! » À long terme, il voudrait que « les gays musulmans fassent entendre leur voix dans les mosquées ». Hélas, depuis la diffusion du film, l’acteur a surtout reçu des menaces de mort. Il faut croire que certaines âmes sensibles ont été choquées de le voir jouer une drag queen revêtue d’une burqa…
Smoking gun
Par Marc Cohen
Vous cherchez un cadeau d’anniversaire qui sorte de l’ordinaire ? Offrez une magnifique chicha en forme de kalachnikov ! Pour environ 150 euros, on en trouve partout sur internet et dans nombre de gadgetteries sises dans les quartiers heu… populaires. Personnellement, j’en ai vu un magnifique exemplaire à la mi-août dans la vitrine d’un magasin de cigarettes électroniques d’un grand centre commercial du Val-de-Marne. Une semaine plus tard, peu après la tentative avortée de carnage à la kalach dans le Thalys, je suis passé voir si, à tout hasard, le commerçant avait jugé raisonnable de planquer cet article. Mais non, il trône toujours en devanture, illuminant les mornes matins banlieusards de ses mille reflets dorés : c’est un exemplaire « gold », le must du bon goût urban style. Mais le narguilé kalach existe aussi en chromé, très classe, ainsi qu’en noir mat, plus ordinaire, certes, mais rigoureusement conforme à son look soviétique originel. On pourrait justement s’étonner de ce regain de soviétophilie dans notre pays. Mais, renseignement pris, il semblerait que la symbolique de ce fusil d’assaut ait quelque peu changé depuis sa création en 1947. Aux antipodes du communisme impie, la kalach est devenue l’arme de prédilection des djihadistes du monde entier. Est-ce une raison suffisante pour interdire l’usage de ces narguilés très particuliers ? Au vu de nos lois, rien ne paraît justifier une telle prohibition. Sauf, bien sûr, pour les délinquants qui voudraient s’en servir au bureau ou dans un lieu public…[/access]
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