Alors que Cannes ouvre cette semaine, le petit monde du cinéma vit dans l’effroi. Car au-dessus du festival plane une terrible rumeur: l’existence d’une liste de 10 personnalités, impliquées dans de nouvelles affaires sexuelles! Grâce aux progrès irrésistibles de l’IA, se rassure-t-on, actrices fragiles et cinéastes lubriques seront heureusement bientôt remplacés par des programmes entièrement numériques, et ces soucis liés à cette humanité imprévisible et encombrante ne seront bientôt plus que de mauvais souvenirs. Grand récit.
Le milieu du cinéma est en effervescence. Une liste circule. Elle comporte, dit-on, une dizaine de noms d’acteurs, de réalisateurs ou de producteurs potentiellement mêlés à des affaires de « violences sexistes ou sexuelles ». Mediapart, que d’aucuns pensent à l’origine de cette liste, a déjà donné son verdict. Une charrette, stationnée au bas des marches du palais du festival de Cannes, attend de transporter vers le lieu d’exécution médiatique les accusés d’ores et déjà reconnus coupables !
VSS: tous responsables, c’est systémique!
Espérons, susurre-t-on dans le milieu culturel, que ne figurent pas sur cette liste infâme les noms d’un ou de plusieurs de ces hommes qui signèrent, il y a un mois à peine, une tribune dans laquelle ils affirmaient ne pas se « reconnaître dans la masculinité toxique » et avoir « compris combien des comportements masculins parfois jugés anodins étaient vécus par les femmes pour ce qu’ils étaient : des abus »1. L’histoire est remplie de ces révolutionnaires assoiffés de justice et d’égalité qui se sont retrouvés sur le banc des accusés au nom de cette même justice et de cette même égalité – la quête de la pureté absolue finit généralement en carnage. À la fin, tout le monde y passe.
Sainte Godrèche, priez pour nous !
Le « monde de la culture » – qui est en réalité celui de l’industrie de divertissement et d’abrutissement des masses – vit donc sa révolution sur fond de féminisme woke. La vague MeeToo ne fait pas dans la nuance et emporte tout sur son passage. Un geste, un mot, un regard, un « comportement inapproprié » peuvent suffire à faire de vous un « porc ». Des actrices découvrent, la cinquantaine approchant, que, jeunes comédiennes, elles ont été « abusées » par un homme plus âgé qui a profité de son « pouvoir » et de son « emprise » sur elles pour les mettre dans son lit. Puis pour vivre quatre, cinq ou six ans avec elles. Et les faire tourner dans trois, quatre ou cinq de ses films. Durant toutes ces années, elles ne se sont aperçues de rien. Leurs parents non plus. Leurs entourages non plus. Mieux encore : en 2010, Judith Godrèche, alors âgée de 38 ans, avouait, dans l’émission Thé ou Café de Catherine Ceylac, avoir été une adolescente très déterminée et avoir hautement apprécié de partager durant quelques années la vie d’un homme plus âgé qui « réinventait la vie » et était « extrêmement séduisant, très habité, très intelligent, brillant », un artiste dont « l’emprise » était « extrêmement inspirante ». Quatorze ans plus tard, le même homme est devenu un monstre, et l’actrice, une sainte, un ange découvrant soudain les souillures qui ont taché l’âme de « la petite fille qui est en [elle] ». Judith Godrèche, qui a une série à promouvoir et une carrière à relancer, va donc de plateau en plateau et de magazine en magazine pour dénoncer « les violences sexistes et sexuelles dans le cinéma ». Comme ce pays est devenu, à l’instar des États-Unis, un pays de curés progressistes et peureux prêts à tout pour échapper à la vindicte des cliques néo-féministes et de leurs prêtresses tourmentées, l’Assemblée nationale a créé à la demande de l’actrice une commission d’enquête chargée d’étudier les « abus et violences sexistes » dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, de la publicité, etc. Paraphrasant Fouquier-Tinville, les nouveaux juges du nouvel ordre moral avertissent : « Donnez-nous une phrase ou un geste de n’importe quel “acteur culturel” et nous nous chargeons de le conduire sur le banc d’infamie. » Dans le microcosme médiatico-artistique, tout le monde tremble. Et tout le monde a raison de trembler. Car tout le monde y passera.
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Si les formations sont anxiogènes, c’est parce que la peur doit changer de camp!
Depuis 2021, nous apprend récemment Le Figaro2, l’accès aux aides du CNC oblige les quémandeurs à suivre une formation obligatoire sur les fameuses violences sexistes et sexuelles. Cette formation dure deux jours. « On y apprend beaucoup de choses, témoigne Olivier Marchetti, patron des studios de Provence près de Marseille. Le formateur explique d’abord la définition légale du harcèlement et des attouchements sexuels. Puis comment cela se traduit concrètement. La conclusion, c’est que pour se tenir loin de tout ennui, il faut éviter aussi bien les blagues sexistes qu’un simple geste tactile. On prend conscience que le sujet est très compliqué, qu’on peut déraper sans faire exprès. C’est assez anxiogène. » Dans ce contexte, le mieux serait effectivement de se tenir loin de tout, et surtout loin des hommes et des femmes, de leurs envies, de leurs pulsions, de leurs désirs. Cela sera bientôt possible : grâce aux progrès irrésistibles de l’IA, l’industrie cinématographique envisage d’ores et déjà de remplacer les actrices et les acteurs par des images synthétiques et les films par des programmes entièrement numériques. En attendant l’avènement des nouvelles technologies qui nous débarrasseront totalement de cette humanité imprévisible et encombrante, les États-Unis montrent l’exemple en matière de lutte contre les « violences sexistes et sexuelles » dans le milieu cinématographique : toute accusation vaut maintenant condamnation, « toute personne soupçonnée est aussitôt persona non grata », même quand il s’avère que l’accusatrice a menti, précise Le Figaro. Les scènes de sexe se déroulent désormais sous la surveillance de coordonnateurs d’intimité. Il n’est pas impossible que, suite à un geste malhabile lors d’une démonstration de non-attouchement, un de ces coordonnateurs d’intimité se voie prochainement accusé d’effleurement « inapproprié ». Apparaîtra alors un nouveau métier, celui de… superviseur de coordonnateur d’intimité. Ce monde sinistre ne nous empêchera pas d’apprécier le comique de certaines situations actuelles et à venir.
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Emmanuelle Bercot accusée par Isild Le Besco
Tout le monde y passera. Et quand je dis tout le monde, c’est tout le monde. Lundi 6 mai, sur France Inter, Léa Salamé recevait l’actrice et réalisatrice Emmanuelle Bercot. Un entretien d’un peu plus d’un quart d’heure qui se déroule on ne peut mieux jusqu’à la 13ème minute, au moment où Léa Salamé évoque le livre d’Isild Le Besco, Dire vrai, dans lequel cette actrice parle de ses « débuts difficiles » au cinéma, lorsqu’elle était âgée de 14 ans. Léa Salamé apprend à Emmanuelle Bercot qu’Isild Le Besco y incrimine des réalisateurs, dont Benoît Jacquot, et des réalisatrices, dont… Emmanuelle Bercot. Lors d’une scène de sexe, celle-ci l’aurait obligée à regarder longuement le pénis d’un acteur. Elle lui aurait également intimé l’ordre de maigrir et lui aurait imposé de refaire plusieurs fois une « scène de baffes ». Emmanuelle Bercot tombe des nues ; elle n’était pas au courant des « accusations » de l’actrice qui est également… la marraine de son fils, raison pour laquelle la réalisatrice dit ne vouloir provoquer aucune polémique. Mais le coup est trop rude : « J’apprécie assez peu, lâche-t-elle au bout d’un moment, de servir de chair à canon médiatique pour la promotion de son livre ; et d’être citée ou de voir ma photo apposée au milieu de plusieurs hommes désignés comme des agresseurs ou des violeurs, ça, je ne l’accepte pas du tout ». Emmanuelle Bercot est « sidérée » par les « insinuations très ambigües » d’Isild Le Besco qu’elle dément catégoriquement en désirant être entendue : « Parce que ma parole a aussi une valeur ». Emmanuelle Bercot semble ignorer que, depuis le fameux «On vous croit!» des néo-féministes, la parole de la personne accusée n’a plus aucune valeur. Sonnée, la réalisatrice vient d’entrer en collision avec la réalité à laquelle sont confrontés certains de ses collègues. Encore a-t-elle eu la chance, elle, de pouvoir donner sa version des faits sur une radio publique. Dans ce monde qui aspire à la javellisation totale, à la pureté absolue, à la chérubinisation des rapports humains en même temps qu’au déballage victimaire et obscène permettant surtout d’acquérir une nouvelle notoriété, Emmanuelle Bercot vient de comprendre que tout le monde peut y passer. Même elle.
Dominique Besnehard rattrapé par la patrouille
Télérama est un magazine que ne rebute aucune cochonnerie puisée dans les poubelles médiatiques. La couverture de son dernier numéro représente l’acteur, producteur et agent artistique Dominique Besnehard auquel il consacre un long dossier dont l’entame suffit à donner le ton : « Il nie tout abus sur les acteurs qui l’accusent, soutient Depardieu, fustige l’ère #MeeToo. Comment Dominique Besnehard, ex-agent de stars visionnaire, est-il devenu le défenseur d’une époque qu’on voudrait révolue ? » Le dossier supposément sulfureux est vide. Une main baladeuse ici, un baiser volé là. Pour le reste : le survol d’un milieu dans lequel il y a de la drague pas toujours légère, des coucheries, des tromperies, des mensonges. La belle affaire ! Quitte à vouloir dénoncer certains débordements, Télérama ferait mieux de balayer devant sa porte3. Le quotidien Libération, de son côté, cherche par tous les moyens à faire oublier les années pendant lesquelles il fit littéralement la promotion de la pédophilie. Par conséquent, il bêle avec les moutons médiatiques et consacre sa Une du vendredi 10 mai à Dominique Boutonnat : le président du CNC sera jugé en juin pour agression sexuelle sur son filleul. Libé interroge : comment se fait-il que M. Boutonnat soit toujours à son poste ? En revanche, Libé ne s’est pas interrogé le moins du monde sur le retour récent dans ses colonnes de Serge July. Pourtant, c’est quand ce gauchiste mondain était à la tête de la rédaction du quotidien que ce dernier sembla considérer quelque temps que les relations sexuelles avec des enfants étaient une activité « anti-bourgeoise » par excellence…
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Judith Godrèche exploite le filon
Lors du prochain Festival de Cannes, Judith Godrèche présentera Moi aussi, le court-métrage qu’elle a réalisé en collectant des témoignages de victimes de violences sexistes. Le trouillomètre à zéro, les responsables du festival affirment « souhaiter ainsi faire résonner ces témoignages ». Ont-ils déjà en leur possession la liste des personnes potentiellement coupables (de quoi exactement, nul ne sait) que certains menacent de faire connaître au grand public juste avant l’ouverture d’un festival qui n’intéresse plus que les « professionnels de la profession » ? Les spectateurs, eux, vont de moins en moins dans les salles de cinéma. Quand ils s’y rendent, ils évitent résolument les films français qui ne sont plus, le plus souvent, que des films de propagande immigrationniste ou progressiste. Et puis, pourquoi se déplacer dans les salles obscures ? Il y a en ce moment, à l’affiche de tous les médias, une série policière à rebondissements, un jeu de massacre succulent, un spectacle tragi-comique réjouissant, continu, gratuit et fort divertissant. Son titre ? Tout le monde va y passer. Le prochain épisode se déroule à Cannes et s’intitule Des noms ! Des noms !
- https://www.elle.fr/Societe/News/Tribune-Il-est-revoltant-que-le-theatre-et-le-cinema-servent-de-couverture-a-des-abus-4231601 ↩︎
- https://www.lefigaro.fr/festival-de-cannes/metoo-avant-le-festival-de-cannes-le-milieu-du-cinema-a-des-sueurs-froides-20240505 ↩︎
- On se souviendra que le magazine télévisuel a fait appel, il y a quelques années, aux « services » de la société Egaé fondée par Caroline de Haas. Cette société est censée, entre autres, sensibiliser et former les cadres des entreprises à la détection et à la résolution des cas de violences sexistes et sexuelles. Résultat : suite à un signalement anonyme pour agression sexuelle, la direction de Télérama, épaulée par Egaé et ses méthodes plus que douteuses, vire en 2019 un de ses collaborateurs après lui avoir fait vivre pendant plusieurs semaines l’enfer d’un « procès » interne inquisitorial dirigé par Caroline de Haas. Deux ans plus tard, le conseil des Prud’hommes, considérant que les « preuves » mises en avant par la direction de Télérama et la société Egaé « ne reposent sur rien d’objectif ou de sérieux » et qu’il n’y a même pas « ne serait-ce qu’un commencement indirect de preuve », condamne le magazine à verser 90 000 euros de dommages et intérêts au journaliste injustement licencié. Le jugement est confirmé par la cour d’appel en 2023. Il n’empêche, rien ne pourra effacer totalement les soupçons qui pèsent sur cet homme et les effets délétères de ceux-ci sur sa vie personnelle et professionnelle. ↩︎