Le 21 janvier 1793, la Révolution guillotinait Louis XVI. Belle occasion pour notre chroniqueur de revenir sur l’événement à travers quelques romans historiques récents qui tentent de démêler ce qui, dans ces années révolutionnaires, appartenait à la logique, au complot ou aux passions.
Le regretté Jean-François Parot n’a pas eu le temps d’amener son héros, Nicolas Le Floch, jusqu’à la prise de la Bastille. Il avait entamé la série en 1999 — il était conseiller à l’ambassade française à Sofia, et L’Enigme des Blancs-Manteaux paraissait l’année suivante. Il a rédigé 13 romans à la suite, qui partent des dernières années de Louis XV jusqu’à l’aube de la Révolution. Homme de grande culture — je l’avais rencontré et c’était un délice — et gastronome averti (il a préfacé À la table de Nicolas Le Floch, de l’historienne Marion Godfroy, en 2015), il a évoqué de façon fort précise le Paris de ce dernier quart du XVIIIe siècle, qui a vu de si grands bouleversements que ni le roi, tout en indécision, ni ses frères, tout en complots, ni les aristocrates pleins de morgue qui composaient l’entourage de la reine n’ont compris.
Ce n’était pas facile de prendre la succession d’Alexandre Dumas, qui avait largement défriché le terrain avec Joseph Balsamo, puis Le Collier de la reine et enfin Le Chevalier de Maison-Rouge. Pas facile non plus de ne pas prendre parti. Les passions sont loin d’être éteintes, et les événements même, quoique fort connus, ont eu une ombre portée si considérable qu’au début des années 1960, interrogé par Malraux sur le bilan de la Révolution française, Zhou Enlai avait jeté, avec son sourire énigmatique : « Il est encore trop tôt pour le connaître ».
Parole d’expert ès révolutions. Et avis à ceux qui jettent des jugements péremptoires sur l’Histoire.
Laurent Joffrin, que l’on connaissait surtout comme journaliste à l’Obs puis à Libé, a relevé le défi de donner une suite aux romans de Parot. Il a fait paraître Le Cadavre du palais-Royal (2021) qui se situe en septembre 1789, puis L’Enigme du Code noir, qui se déroule en 1791. Encore un effort et il parviendra à ces journées de janvier 1793 qui ont vu le procès et l’exécution de Louis XVI — ou Louis Capet, selon que vous choisissez, en ce jour anniversaire, de faire dire une messe ou de manger de la tête de veau.
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Je ne chercherai pas à savoir si Joffrin écrit ses romans historiques tout seul, ou s’il s’entoure de quelques agrégés d’Histoire qui lui préparent des dossiers, comme Maquet le faisait pour Dumas. Je sais seulement que sans être à la hauteur de Parot, qui avait une patte inimitable, Le Cadavre du Palais-Royal se lit facilement. L’auteur y entremêle les fils de la fiction et de l’Histoire, mettant en scène les intérêts divergents (ô combien !) de Philippe d’Orléans et de son âme damnée Choderlos de Laclos (oui, l’auteur des Liaisons dangereuses était un comploteur et a bien failli y laisser la tête), qui se voyait bien remplacer son cousin et lancer en France une monarchie à l’anglaise, et du futur Charles X, poussant le peuple à bout pour inciter son frère à utiliser l’armée contre les Parisiens et à noyer dans le sang les preneurs de Bastille. Il met en scène un Louis XVI conforme à ce que nous en savons, un homme intelligent mais hésitant — c’est fatal en politique —, et une Marie-Antoinette mal entourée d’aristocrates qui pour rien au monde n’auraient voulu renoncer à leurs privilèges. On connaît la suite.
Les Anglais avaient décapité Charles Ier, en 1649, et rétabli la royauté en 1661. Evidemment, c’était déjà une royauté bien moins absolue qu’en France, et la succession de la reine Anne en 1714, en mettant sur le trône l’Electeur de Hanovre, a définitivement placé la couronne britannique dans le peloton de tête des monarchies constitutionnelles. Nous avons nous-même tenté le coup en 1830 en portant aux Tuileries Louis-Philippe, le fils de Philippe-Egalité — qui avait perdu la tête dans l’aventure, neuf mois après son cousin. C’était trop tard, Napoléon était passé par là, les Français, qui ont constamment gardé la nostalgie de Louis XIV, voulaient un vrai monarque, pas un roi bourgeois. Ils ont eu Napoléon III, puis De Gaulle.
Que les présidents qui ont succédé au grand Charles n’aient pas eu sa stature est une autre affaire. Nous sommes de toute évidence orphelins d’un souverain. Et Macron, gestionnaire d’intérêts divers, n’a pas le format. Ni personne, pour le moment. Et de grands intérêts cherchent à faire le maximum d’argent sans renoncer à leurs privilèges. Toute ressemblance…
Ça va mal finir.
Vous pouvez assurément lire les romans de Laurent Joffrin : les ingrédients y sont, les bons petits plats de la cuisine française du XVIIIe siècle aussi, et il y a un peu plus de fesse que dans les romans de Parot, qui s’intéressaient à d’autres plaisirs de la chair. Vous pouvez aussi lire les romans qu’Alexandre Dumas a consacrés à cette période : après tout, son père, le général Dumas, a fait ses armes sous la Révolution, et le romancier écrivait alors que certains protagonistes de ces années sanglantes étaient toujours en vie. Mais si les 1500 pages de Joseph Balsamo ou les horreurs sanglantes de Maison-Rouge vous effraient, il reste la possibilité de commencer en douceur avec les 300 pages de Joffrin, plus adaptées à nos habitudes modernes de lecture.
Même si stylistiquement je préfère Dumas, dont j’ai jadis écrit une biographie — mais c’est une autre histoire…
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