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Révisionnettes, outre-mer et autres macroneries

Bon, on a quand même renoncé à inscrire le climat dans la Constitution en juillet 2021 !


Révisionnettes, outre-mer et autres macroneries
Des gendarmes déployés en Nouvelle-Calédonie pour rétablir l'ordre, 16 mai 2024 © Cedric Jacquot/AP/SIPA

Après l’IVG qui n’était pas utile puisque protégée par la loi, l’Elysée veut nous imposer une nouvelle révision constitutionnelle sur le collège électoral en Nouvelle-Calédonie. Ces questions délicates et secondaires étaient très éloignées des préoccupations des Français… mais voilà que nous nous heurtons donc dans le Pacifique à des Kanaks pas forcément très pacifiques… Analyse.


Quand cessera-t-on de tripatouiller la Constitution pour un oui pour un non ? Il y a d’autres façons, Monsieur le président Macron, de marquer son mandat et l’histoire. Et de ménager votre sortie de celle-ci. Car c’est à cela, à ce stade du mandat, qu’il vous faut dorénavant penser. Comme d’autres de vos prédécesseurs, cela va devenir obsessionnel !

Lors de son premier mandat Emmanuel Macron avait fait adopter le 28 août 2019 en Conseil des Ministres trois projets de texte très intéressants et constituant une réforme notamment du fonctionnement parlementaire : réduction de 25% du nombre de parlementaires (à 433 députés contre 577 actuellement et à 261 sénateurs contre 348 actuellement), introduction de la proportionnelle pour l’élection des députés (20 %), limitation du cumul des mandats dans le temps (trois mandats identiques pour les parlementaires et les exécutifs locaux). A noter que certains de ces projets avaient déjà été adoptés en Conseil des Ministres dès 2018. Lesdits textes ont donc été déposés au Parlement le 29 août puis plus rien… L’an passé pour les 65 ans de la Constitution, le président a relancé l’idée d’une révision. Mais visiblement tant le Sénat que l’Assemblée ne veulent pas d’une réforme globale. Alors le chef de l’Etat préfère user de révisionnettes : IVG et Nouvelle-Calédonie. IVG ? A notre sens la loi courageusement portée par Simone Veil, suffisait à elle seule à protéger ce droit devenu fondamental pour des milliers de femmes. Alors oui, certains pays, dont le sens démocratique s’amenuise de plus en plus, reviennent ou tentent de revenir sur l’IVG. Mais la France, si elle a reflué dans pas mal de domaines (déficit, sécurité, immigration illégale) n’est pas de ceux-là. Alors, le Parlement, et notamment le Sénat, ont joué le jeu. Les femmes sont ainsi constitutionnellement protégées et c’est peut-être l’essentiel de la révision.

Le régime électoral farfelu de la Nouvelle-Calédonie

Nouvelle-Calédonie ? En vertu du très généreux accord de Nouméa du 5 mai 1998 est mis en place la revalorisation de la culture kanak (statut coutumier, langues, etc.) et la création de nouvelles institutions (y compris un régime électoral nouveau). Surtout le texte prévoit un processus de transfert progressif et irréversible de compétences à la Nouvelle-Calédonie avant le référendum d’autodétermination. Ce statut confortable fait même l’objet d’un nouveau titre constitutionnel, le XIII : des dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie instauré en juillet 1998. Ce ne sont pas moins de trois référendums qui vont se dérouler (2018, 2020 et 2021). A chaque fois les indépendantistes kanaks échouent. On ne peut faire plus démocratique, non ? Pas un seul territoire de France n’a autant voté en si peu de temps ! Avec l’aval de l’Elysée, Gérald Darmanin a décidé d’une réforme constitutionnelle examinée à l’Assemblée nationale, qui vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales en Nouvelle-Calédonie, aux résidents installés depuis au moins dix ans sur l’île. Même si elle peut paraitre légitime, voilà une idée bien inopportune. Résultat ? Les émeutes sévères que l’on connait déclenchées par les kanaks qui, comme de coutume, s’estiment lésés. C’est exactement comme pour l’intégration d’un statut corse dans la Constitution. L’île de beauté est déjà la collectivité qui a le plus d’avantages au sein de notre République. Au mépris d’ailleurs de l’égalité qui doit exister entre lesdites collectivités. A part les Calédoniens et les Corses eux-mêmes, leur statut intéresse qui ? C’est loin d’être le souci majeur des Français, c’est une évidence.

Les positionner ainsi dans notre Constitution obéit exclusivement à de l’opportunisme. Ou alors c’est une façon d’acheter la paix dans ces contrées. C’est mal embarqué en Nouvelle-Calédonie qui est certainement l’île d’outre-mer où se pratique le plus de racisme antiblanc.

Emmanuel Macron n’est pas le premier à avoir voulu instaurer des révisionnettes. Sur les 24 révisions qu’a connu à ce jour la Ve, il y a eu quatre ou cinq essentielles (élection du président au suffrage universel direct sous de Gaulle ou saisine du Conseil Constitutionnel par des parlementaires sous VGE, Question prioritaire de constitutionnalité sous Sarkozy par ex). Le reste sont mineures voire des revisionnettes.  C’est-à-dire qu’elles n’influent en rien notre système institutionnel mais se font sur la base de l’émotion ou du bon vouloir du Prince. Et on a échappé en juillet 2021 au référendum pour inscrire le climat dans la Constitution ! Eh oui, au plus haut sommet de l’exécutif, on avait eu cette idée « géniale » dans la droite ligne du rapport de la Convention Citoyenne sur le Climat. Oubliant un petit détail : il existe déjà dans la Constitution de 1958, la Charte de l’Environnement de 2004 imposée par Jacques Chirac. Au titre de ces bizarreries constitutionnelles, peut-être un jour verrons-nous apparaitre dans notre loi fondamentale, le droit au transgenrisme ou à la binarité ?…

L’avenir de la France dans le Pacifique est ici en jeu

Revenons sur l’outre-mer. La France dispose de 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive (ZEE) : il s’agit de l’étendue de mer ou d’océan entre les eaux territoriales et les eaux internationales, sur laquelle un État riverain jouit de l’exclusivité d’exploitation des ressources. Pour la France, 97 % de la ZEE correspond à l’outre-mer. La France se hisse ainsi à la deuxième place des puissances maritimes mondiales et se situe juste derrière les États-Unis et avant l’Australie.

Il va falloir un jour se poser sérieusement la question de ce que l’on compte faire de tout cette outre-mer. Nous sommes le seul pays de l’UE à conserver ce que Napoléon 1er appelait les « confettis d’empire ». Le Portugal, l’Espagne, la Grande-Bretagne ou encore les Pays-Bas s’en sont séparés. La France reste déterminée à conserver ces vestiges impériaux de façon quasi napoléonienne, se démarquant de la politique postcoloniale des autres pays occidentaux. Bien évidemment, comme en Afrique noire ou du nord, tout le confort de vie et le développement dans ces endroits ont été amenés par la France. Il y a eu, on ne peut le nier, des comportements coloniaux contestables. Mais le bilan est plus largement marqué par des points positifs que négatifs.

Les DOM-TOM sont loin de la métropole, ils sont extrêmement coûteux et ne produisent pratiquement rien d’utile (sauf le tourisme, et quelques cultures). Hormis un peu en Guyane (or) et en Nouvelle- Calédonie (nickel),  les sous-sol sont sous (voire plus) exploités. Soyons lucides, leur seul rôle est de faire briller encore la gloire de la République française. Ou ce qu’il en reste. Certes les DOM-TOM donnent à la France l’honneur d’être la « deuxième puissance maritime du monde ». A en croire le Pr Aldrich, de l’Université de Sydney (co-auteur avec John Connell (France’s Overseas Frontier ; Départements et Territoires d’outre-mer, Cambridge University Press, 1992) « d’une certaine façon, c’est comme avoir de vieux bijoux de famille dont on n’arrive pas à se débarrasser ». Quant à savoir pourquoi la France n’a jamais lâché ses coûteux partenaires coloniaux, comme les Britanniques l’ont fait, c’est un peu plus compliqué. Au-delà d’une « mission civilisatrice » avancée par certains, l’argument principal est l’aspect stratégique de certains territoires (Guyane, Calédonie en particulier).

Le coût de l’Outre-mer

Et puis n’oublions pas aussi les avantages dont jouissent nos fonctionnaires insulaires. Ainsi les professeurs bénéficient de 30% d’indemnité de résidence. Ceux qui sont à l’Université peuvent caler tout leur service (192h) sur un semestre et rester sur le continent le reste de l’année. Il existe aussi des primes diverses (éloignement par ex). Chaque jour, les vols d’Air France au départ et à destination de Paris sont remplis d’hommes et de femmes d’affaires bénéficiant d’avantages salariaux analogues. De même, les habitants des DOM-TOM qui veulent étudier en France obtiennent sans peine une place à l’université, ainsi que des billets d’avion gratuits pour rentrer chez eux tous les étés. Peut-être y a-t-il aussi « une sorte de contrat moral entre la France et tous ses départements d’outre-mer » note le professeur Pritchard…

Il n’en reste pas moins que l’ensemble de cette outre-mer a un coût. Nettement supérieur aux avantages d’ailleurs. Pour le budget 2023, tous ministères compris, l’effort budgétaire global de l’Etat en outre-mer s’élève à présent à 20,0 Md€ en autorisations d’engagement et 21,7 Md€ en crédits de paiement en 2023, soit une hausse de 500 M€ en AE (autorisation d’engagement) et en CP (crédits de paiement) par rapport à 2022. Si on additionne, basiquement, cela fait 41, 7 Md d’euros.

Dans chacune de ces îles existe, plus ou moins ancrées, depuis des décennies et des générations, une volonté d’indépendance. Elle est aussi plus ou moins exprimée. Mais aucune d’entre elles ne serait financièrement capable de s’assumer. A cet égard elles sont liées à la France par une sorte de cordon ombilical. Mais à la différence du nouveau-né qui s’ouvre à la vie dès qu’il est coupé, si l’on coupait celui des DOM-TOM ce serait la chronique d’une fin annoncée.

Pour trancher cela, nous songeons à une procédure constitutionnelle simple et claire : le référendum. En Nouvelle-Calédonie, l’Etat français n’a pas su faire respecter les trois résultats qui ont (malheureusement ?) rejeté l’indépendance. Dès lors il serait opportun d’organiser des référendums dans chacun des territoires de nos outre-mer qui a des velléités d’indépendance. Si le oui l’emporte, on donnerait un temps pour s’organiser (un an) avant le départ définitif du « colon ». Notamment pour savoir comment régler les aspects financiers. Le nerf de la guerre pour s’assumer. C’est tellement facile de crier haro sur la France mais de se laisser entretenir par les subsides abondants qu’elle déverse. Nous avons envie de rappeler un slogan politique des années 90 : « la France aimez-la ou quittez la »… Et une fois qu’ils seraient indépendants, libres à eux de s’autogérer (on ne donne alors pas cher de leur peau) ou de passer des accords avec des pays voisins un peu moins démocratiques que la France à certains endroits. On pense ici à Wallis et Futuna mais surtout à la Nouvelle-Calédonie proches de l’Australie (très stricte sur l’immigration) mais aussi, plus éloignée, de la Chine… Cette dernière cherche toujours des opportunités pour se développer. Mais le joug chinois serait plus dur à endurer que le « colonialisme » à la française…

Les sondages qui se succèdent depuis des mois démontrent les uns après les autres que l’inflation, le pouvoir d’achat, la sécurité sont les principales priorités des Français, loin devant la guerre en Ukraine. Et à des années lumières de révisions constitutionnelles sans intérêt et de l’avenir de la Corse ou de la Nouvelle-Calédonie. Il vous reste à peine trois ans pour revenir aux fondamentaux Monsieur Macron…

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Maître de conférences en droit - Université Clermont Auvergne

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