Mi-octobre, les Français ont appris que l’entreprise Opella, filiale de Sanofi en charge notamment du célèbre médicament Doliprane, allait être vendue à un fonds d’investissement américain. Ce genre d’actualité n’est d’habitude relayée que par la presse économique spécialisée, et il est très rare que le grand public s’y intéresse ou s’en émeuve outre mesure…
Pourtant, cela n’a pas été le cas ! Et, pour une fois, ce n’est pas tellement du fait des syndicats, bien que cette décision risque d’affecter deux sites de production en France et 1700 emplois.
D’un côté, il y a le Doliprane, ce médicament largement utilisé et apprécié dans les foyers français et, de l’autre, un fonds d’investissement étranger, ce que le grand public considère, probablement à juste titre, comme le paroxysme de la capitalisation au détriment de l’humain.
Un médicament érigé en symbole lors de la crise sanitaire
Nul besoin d’être féru d’économie pour comprendre ce qui se joue réellement ici : la désindustrialisation de la France et la perte d’une souveraineté nationale. Déjà, en 2014, dans un autre secteur qu’est celui de l’énergie, les Français s’étaient émus de la cession d’Alstom à l’américain General Electric. Un des points communs entre ces deux affaires reste sans nul doute le rôle de l’État qui subit en plus les conséquences, dans le cas du Doliprane, d’un très mauvais timing. En effet, depuis la crise du Covid, certains médicaments sont en rupture ou en flux tendus et le gouvernement avait, à l’époque, érigé le fameux Doliprane en symbole d’une nécessaire réindustrialisation française en vue de préserver une souveraineté nationale, notamment sur le plan sanitaire. Inutile de dire que le symbole se retourne aujourd’hui contre nos gouvernants et met en lumière l’écart manifeste entre les promesses politiques et leurs réalisations concrètes. D’autant que l’heure est au bilan pour les Français ! Les révélations du nouveau gouvernement quant au déficit actuel de l’État ont ouvert la voie à la vindicte populaire. Les politiques sont sommés de s’expliquer, de se justifier et de rendre des comptes. Il faut bien trouver des coupables !
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La décision de Sanofi de se séparer de sa filiale de santé grand public pour se consacrer à la recherche et au développement de médicaments innovants n’a pourtant rien de choquant. C’est un choix stratégique comme un autre émanant d’une entreprise privée. En revanche, depuis un an que le projet est sur la table, comment expliquer qu’aucun fonds d’investissement français ou européen n’ait pu se montrer acquéreur ? C’est dans ce genre de situation que l’on constate avec désarroi le manque de compétitivité et de poids des entreprises françaises actuellement dans une économie mondialisée.
Aveu de faiblesse
Cependant, c’est sur l’issue de cette affaire que se concentrent mes critiques. Le 21 octobre, la banque publique d’investissement Bpifrance annonce investir entre 100 et 150 millions d’euros pour entrer au capital d’Opella et prétend ainsi influencer Sanofi et le fonds d’investissement américain CD&R dans le but de préserver les sites de production en France et les emplois associés, mais également de garantir l’approvisionnement de la France en médicaments concernés.
Qu’on se le dise : cette somme, aussi impressionnante soit-elle pour le commun des mortels, ne représente que 1 à 2% du capital d’Opella et ce fonds d’investissement américain, désormais majoritaire à plus de 50%, se passera aisément de l’avis de l’État français le jour où il souhaitera délocaliser les sites de production du Doliprane. Ses pieuses promesses seront probablement tenues quelques mois, voire quelques années mais n’offrent aucune garantie à long terme sur le maintien de la production en France ou la sauvegarde des emplois.
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Cette décision sonne comme l’aveu de faiblesse d’un État impuissant, davantage par manque d’autorité et de vision à long terme que par manque de moyens. En effet, ce n’est pas au moment de la cession qu’il aurait fallu agir en tentant mollement de s’imposer dans les négociations mais, quelques années plus tôt, lorsque Sanofi bénéficiait très largement du crédit d’impôt recherche (notamment pour ce vaccin contre le Covid qui n’a jamais réellement abouti ou trop tardivement). C’est à ce moment-là qu’il aurait fallu exiger des contreparties avec des engagements sur le maintien de l’industrie pharmaceutique française autant que faire se peut. On ne peut pas prétendre diriger en subissant une actualité, somme toute assez prévisible au vu des antécédents de désindustrialisation de la France de ces vingt dernières années.
À l’inverse il aurait été courageux de prendre une vraie décision : celle de ne pas du tout ingérer dans cette transaction d’ordre privé ou celle de préempter la cession, c’est à dire de faire capoter la vente et ce, « quoi qu’il en coûte », au risque de froisser les investisseurs étrangers qu’Emmanuel Macro s’efforce de séduire depuis de nombreuses années. Bref, tout aurait été préférable à cette décision molle, en demi-teinte, qui n’apporte aucune garantie à long terme pour l’économie française et qui, à court terme, vient de coûter à la France entre 100 et 150 millions d’euros ! Pour un coup de communication, un effet d’annonce visant à rassurer l’opinion publique, c’est cher payé, surtout quand l’heure est aux économies…