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Réveillon 1981

Conte de Noël (1/2)


Réveillon 1981
Des partisans de François Mitterrand fêtent sa victoire, Paris, 10 mai 1981. Sipa. Numéro de reportage : 00617101_000022

Causeur a décidé de gâter ses lecteurs en leur offrant un conte de Noël signé Thomas Morales (1/2).


 

Papa Poule vient de se terminer sur une image filandreuse tirant sur le gris perlé comme dans un brouillard londonien. Depuis l’élection de François Mitterrand, notre téléviseur Grundig a pris le pouvoir sur les réalisateurs de la Une. Il a tendance à mélancoliser ce feuilleton en forçant sur les teintes hivernales et à brouiller les infos quand le présentateur ose parler de l’opposition gouvernementale. Selon ma grand-mère, il couperait volontairement la parole à VGE et à Raymond Barre dans un honteux déni de démocratie.

Le Général avait ouvert la porte aux communistes

Elle en appelle à la mémoire du Général qui avait jadis ouvert la porte aux communistes, bien mal lui en a pris, avec ces gens-là, la trahison est inscrite dans leurs gènes. Ils ne sont pas convenables, répète-t-elle à ses amies du presbytère. Ils ont le vice de l’égalitarisme dans la peau, ajoute-t-elle pour celles qui seraient sourdes ou socialisantes. Elle soupçonne notre poste de télé d’être un agent infiltré du KGB à l’intérieur de notre foyer berrichon. Les soviétiques auraient installé des mouchards dans tous les appareils de la région afin de surveiller les classes occidentales bourgeoises.

Sa théorie a déjà convaincu notre voisin, notaire et vieux garçon, ce qui alourdit en soi son existence taciturne. Pas étonnant selon elle, le vendeur d’électro-ménager du village ne lui a jamais semblé digne de confiance. Sa fille n’a pas fait sa communion solennelle et son gendre est instituteur en banlieue rouge. C’est dire s’il est suspect à ses yeux. Il a l’œil maussade de Georges Marchais, cette trogne vindicative à toujours vouloir fouiller son nez dans le porte-monnaie des autres. Désormais, lorsqu’elle passe devant l’appareil maudit, elle chuchote de peur d’être soupçonnée de déviance idéologique. Les chars rouges et le programme commun lui ont coupé l’appétit en mai dernier. Les indirects l’achèveront au tournant de la rigueur, deux ans plus tard.

L’impression de flotter dans le salon Louis XV

Ce soir, le réveillon de la Saint-Sylvestre réunira toute la famille. Les cousines de Touraine seront là, avec leurs têtes de cocker endimanché et leurs insupportables manières de filles modèles. Les biarrots sont arrivés en BMW en début de semaine, ils logent chez Alfred, l’associé de mon grand-père qui possède un manoir aussi délabré que sa gestion comptable s’avère hasardeuse. Même l’oncle René de Port-Grimaud a confirmé sa présence avec sa nouvelle fiancée, une esthéticienne ou une cartomancienne, je n’ai pas compris ce que disait ma mère dans la cuisine hier soir. J’avais pourtant l’oreille collée contre la porte. De toute façon, ces deux professions me sont inconnues. Elle a vingt-cinq ans de moins que lui, ce qui semble réjouir mes parents, peu à cheval sur la morale et ravis de faire hurler ma grand-mère, potentat local qui régente tout depuis un demi-siècle dans la maison. Il me reste quelques heures à tuer dans le profond canapé ligne Roset avant de passer à table. Retrouverais-je un jour le confort, cette mollesse d’avant la crise, qui donnait à mes siestes un léger tangage marin ? L’impression de flotter dans le salon Louis XV. Un bateau ivre d’inspiration pop aussi incongru dans le mobilier de style que ce cactus qui remplaçait, cette année-là, l’éternel sapin.

Tous les garçons et les filles de mon âge…

Provocation potache de ma mère qui mettait bien en évidence sur la table basse, le journal L’Humanité et proférait quelques propos progressistes quand ce n’était pas à la mode. Les voisins s’en souviennent encore de ce cactus enrubanné par une guirlande électrique. Ce soir, j’hésite à mettre un nœud papillon ou une pochette à pois. L’année dernière, j’avais fait forte impression avec mon blazer de tweed, la cravate club ramenée d’Angleterre par mon parrain et ce pantalon en flanelle au toucher si soyeux qui a suscité beaucoup de compliments. À huit ans, il y a certaines interrogations majeures qui m’occupent l’esprit. J’ai bien conscience que les autres enfants de mon âge ont des préoccupations plus basiques, moins esthétiques quant à leur tenue de gala. Leurs pères ne portent pas des souliers anglais à bout fleuri et des chemises sur-mesure de chez Charvet.

à suivre… 

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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