Comme le reconnaissent en privé nombre de cavistes, on peut faire un grand réveillon sans petites bulles dorées. Un conseil avisé, car un bon champagne à petit prix, ça n’existe pas ! Mais aucune loi n’interdit encore de faire des folies…
Quand il commença à s’intéresser au vin, il y a une vingtaine d’années, l’auteur de ses lignes n’y connaissait rien. Bizarrement, cette ignorance assumée fut un atout, car, comme aimait à le lui expliquer Marc Sibard, le patron des Caves Augé (la plus vieille cave de Paris, fondée en 1850, boulevard Haussmann) : « Dans le vin, il faut être humble. » J’appris donc lentement, prenant le temps de goûter, d’aller chez les vignerons, de lire des livres, de discuter avec des sommeliers, des cavistes, des courtiers, des œnologues. Très vite, le monde du vin me parut un condensé de comédie humaine digne de Balzac, avec sa faune de snobs et de buveurs d’étiquettes, ses maniaques, ses collectionneurs, ses spéculateurs, ses gourous, ses militants du vin « nature », mais aussi, heureusement, ses authentiques poètes avec qui boire et partager demeure l’un des plaisirs de la vie.
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Dans ce microcosme, les journalistes du vin constituent une caste à part : comme le noyau du petit clan Verdurin décrit par Proust, on en est, ou on n’en est pas. En sollicitant naïvement leur conseil, j’avais le sentiment d’avoir affaire à des notables, ou des petits marquis, comme ces experts de La Revue du vin de France (RVF), croisés un soir à Pomerol, et dont les initiales étaient brodées sur leur chemise. Il y a aussi la catégorie des loups solitaires, comme Jacques Dupont, le célèbre journaliste du Point, capable de goûter de 100 à 200 vins par jour, deux semaines d’affilée, à Bordeaux, sans tomber dans le coma…
Un bon champagne à petit prix, ça n’existe pas!
Dans cet univers complexe et confiné où il faut appartenir à un réseau, la poésie véritable qui émane d’un casse-croûte improvisé un matin d’automne dans un village du Beaujolais ou du sourire d’une belle vigneronne heureuse de vous faire goûter son nectar au pied des sublimes Dentelles de Montmirail, est fragile et rare. Les préjugés, les intérêts et le poids des annonceurs sur la presse sont tels qu’il faut du temps à l’amateur pour trouver son chemin dans ce maquis broussailleux !
Prenez, par exemple, le champagne. Longtemps, alors que je n’étais qu’un bleu, la dimension luxueuse de ce vin mousseux au goût légèrement sucrailleux me fut incompréhensible. Pourquoi s’extasier sur cette boisson gazeuse, alors qu’à un prix comparable on pouvait percevoir, dans un grand vin blanc sec d’Alsace ou de Condrieu (le vin préféré de Blaise Pascal) une présence, une densité, une sève et une profondeur bien supérieures à celles du champagne de marque lambda ?
Sachant qu’un champagne tout juste correct ne peut-être vendu moins de 30 euros la bouteille (compte tenu du prix du raisin et de la manutention, sans parler du coût marketing qui, chez les grandes marques, correspond à au moins 25 % du prix), on peut se demander, en effet, s’il ne serait pas plus avisé, pour Noël, de se payer, pour la même somme, un beau Château-Simone, le plus grand vin blanc de Provence, produit près d’Aix, au pied de la montagne Sainte-Victoire, par la famille Rougier, dans son château du xvie siècle. Ramassés à la main, les différents cépages provençaux sont ici cultivés en bio, pressés et assemblés ensemble afin de restituer toute la complexité de leur terroir d’origine. Toujours pour 30 euros, pourquoi ne pas ouvrir une bouteille de Vieilles-Vignes-Éparses,
