Comment expliquer que Zemmour défende dans le même mouvement Vichy et Israël ?
Plusieurs articles (et même un livre !) prétendent percer le mystère du judaïsme d’Éric Zemmour et s’indignent de l’obstination de ce juif français à défendre le régime de Vichy et à frayer avec ses nostalgiques comme Jean-Marie Le Pen.
Pour les uns, cette aberration relèverait d’une haine de soi pitoyable, pour les autres d’un machiavélisme électoraliste ou encore d’une propension pathologique au mensonge.
Interviewé sur BFM TV, Jean-Luc Mélenchon expliquait le passéisme de Zemmour par ses origines juives (les juifs, c’est bien connu, vénèrent la tradition, disait-il en substance). Ces analyses plus ou moins bancales éludent un paradoxe de taille : Zemmour est le seul candidat à défendre ouvertement Israël. À rebours des dogmes du Quai d’Orsay (et de l’antisionisme gaulliste), il prône la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’État juif, reconnaît la légitimité juive sur l’esplanade des Mosquées (mont du Temple) et enterre d’emblée le projet d’État palestinien.
Profond désaccord avec Bernard-Henri Lévy
Nul besoin d’essentialiser Zemmour, voire de le psychiatriser, pour comprendre comment il concilie ses origines juives, ses sympathies sionistes et son adhésion au nationalisme français. Car tout cela participe d’une parfaite cohérence idéologique. Ni juif de service, ni juif de cour, ni juif honteux, Zemmour s’inscrit dans la tradition sioniste d’une certaine extrême droite française.
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Le candidat à la présidentielle a livré une clé de compréhension essentielle lors d’un débat télévisé avec Bernard-Henri Lévy, le 15 novembre dernier sur CNews. En réponse au philosophe qui l’accusait de trahir les valeurs du judaïsme, le candidat rétorquait : « Le judaïsme c’est une terre : la terre d’Israël ; un peuple : le peuple juif ; une loi : la loi juive donnée à Moïse. C’est plus proche de Barrès que de Zola. » En convoquant Barrès, Éric Zemmour soulignait à dessein la parenté idéologique entre le nationalisme français et le sionisme politique, et indiquait dans le même mouvement un modèle à suivre.
Le triptyque « terre d’Israël, peuple d’Israël, Torah d’Israël » parcourt en effet toute la Bible hébraïque et imprègne le sionisme moderne, laïque et religieux. On sait depuis Zeev Sternhell que le sionisme travailliste des origines, celui de Ben Gourion et de Katzenelson, relevait bien davantage du nationalisme intégral que du socialisme porté en bandoulière par les pionniers sionistes. En dépit de slogans et de postures universalistes, un nationalisme ombrageux a toujours guidé l’action des dirigeants israéliens, de Ben Gourion à Netanyahou et jusqu’à l’actuel Premier ministre Naftali Bennett, issu du courant sioniste-religieux. L’État d’Israël contemporain exalte toujours la nation, la terre, l’armée et la famille. Un État barrésien en somme, présentant de saisissants points communs avec la France rêvée d’Éric Zemmour.
Les Israéliens goûtent fort peu à la repentance
La dimension barrésienne d’Israël se traduit avant tout par sa politique d’immigration et son code de la nationalité. Depuis sa création, en 1948, le pays n’ouvre ses portes qu’aux seuls individus pouvant revendiquer au moins un grand-parent juif. Cette ascendance suffit pour obtenir automatiquement la nationalité israélienne. En revanche, à l’exception notable des Palestiniens établis en Israël avant 1948 et de leurs descendants (les Arabes israéliens), l’accès à la citoyenneté israélienne reste quasiment impossible pour un non-juif, y compris pour les rares travailleurs étrangers établis de longue date dans le pays. Le strict contrôle des frontières empêche toute immigration clandestine. À la fin des années 2000, l’afflux de quelques milliers de migrants soudanais et érythréens, venus à pied par le désert du Sinaï, avait entraîné la construction d’une barrière infranchissable le long la frontière égyptienne. Cette mesure radicale, décidée par le gouvernement Netanyahou, ne fit guère débat à l’époque alors même que Donald Trump a dû ferrailler pour construire le même type de mur à la frontière mexicaine.
Zemmour, qui exalte les racines chrétiennes de la France, n’ignore sans doute pas que la nation israélienne a puisé l’essentiel de ses symboles dans son héritage hébraïque. L’État a choisi comme emblème le chandelier à sept branches du Temple de Jérusalem, un drapeau frappé de l’étoile de David, le shabbat comme jour de repos hebdomadaire ou encore un hymne national, l’Hatikvah, qui célèbre le retour à Sion du peuple juif après deux mille ans d’exil. Afin d’étouffer dans l’œuf toute tentative de déjudaïsation de l’État, la Knesset a voté en 2018 une loi fondamentale dite « Israël, État-nation du peuple juif ». Au grand désarroi de la minorité arabe (un cinquième de la population du pays), le texte consacre la primauté de l’hébreu comme langue officielle et grave dans le marbre le caractère juif de l’État d’Israël. Là encore, cette loi a suscité relativement peu d’opposition, même parmi la gauche travailliste, par ailleurs surreprésentée au sein de l’élite de Tsahal, le principal pilier de l’identité israélienne. Malgré un service militaire très long (trois ans pour les garçons, deux ans pour les filles), la jeunesse continue de plébisciter la conscription et plus particulièrement l’intégration dans les unités combattantes. Tous les sondages placent l’armée en tête des institutions préférées des Israéliens et on ne compte plus les anciens chefs d’état-major élus aux plus hautes fonctions politiques. Pour en revenir à Barrès, Israël honore chaque année avec ferveur sa terre et ses morts lors du Jour du souvenir et du Jour de l’indépendance. Seules célébrations laïques du calendrier israélien, ces deux journées consécutives mobilisent massivement la population, notamment la jeunesse (hormis les juifs orthodoxes et les Arabes).
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Enfin, à l’instar de Zemmour, les Israéliens goûtent fort peu à la repentance et à la contrition s’agissant des épisodes controversés de leur histoire. Dans les années 1990, un historien de premier plan, Benny Morris, a revisité la doxa de la guerre d’indépendance de 1948 et bousculé le mythe de la « pureté des armes ». Dans des recherches d’une grande rigueur, Morris révélait des exactions commises par des soldats israéliens contre des civils palestiniens et établissait la responsabilité du gouvernement de David Ben Gourion dans l’exode de plus de 700 000 Palestiniens en dehors des frontières d’Israël. Ses travaux, et ceux d’autres « nouveaux historiens », provoquèrent l’émoi des milieux universitaires et d’une partie de la gauche mais n’ébranlèrent pas le grand public. Benny Morris lui-même, dans une célèbre interview au journal Haaretz en 2004, résumait bien le sentiment général en justifiant les expulsions par la radicalité de l’hostilité arabe et la nécessité pour l’État d’Israël naissant de s’assurer une majorité juive sur le long terme.
Israël, rempart de l’Occident
Dans la mouvance nationaliste contemporaine, en France comme à l’étranger, l’amitié pour Israël s’avère souvent indissociable d’une hostilité déclarée envers l’islam et l’immigration extra-européenne. Israël apparaît comme l’un des remparts de l’Occident chrétien comme l’ont souvent exprimé le président ultranationaliste hongrois Viktor Orban, soutien indéfectible de l’État juif, ou l’ancien ministre Philippe de Villiers, fervent partisan de Zemmour. En France, le prosionisme de l’extrême droite a du reste des racines profondes. Antisémite repenti, Barrès, encore lui, observait avec bienveillance le mouvement sioniste. Xavier Vallat, commissaire aux questions juives sous Vichy, rêvait tout haut d’un État juif avec pour capitale Tel-Aviv et se réjouit de la victoire israélienne lors de la guerre des Six Jours en 1967. Idem pour l’écrivain maurrassien Pierre Boutang.
Zemmour marche dans les pas de Barrès, Vallat, Orban, Villiers, Boutang et de tant d’autres nationalistes européens qui voient dans la fondation d’un État juif indépendant la solution à l’antisémitisme et admirent les réalisations du mouvement national juif. Au nom de son nationalisme intégral, Zemmour défend dans le même mouvement Vichy et Israël. Un faux paradoxe à méditer avant d’élaborer des théories fumeuses sur les relations entre le candidat et sa maman juive.
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