On arrête tout ? On arrête tout !
C’est le sujet du premier roman de Nathalie Peyrebonne, Rêve général, qui raconte une étrange révolution : dans la France d’aujourd’hui, soudain, tout le monde décide que perdre sa vie à la gagner n’en vaut plus la peine, que vivre dans un temps aliéné par les rythmes de la vie marchande est une absurdité. À l’origine du phénomène, nulle théorie, nul mouvement subversif, nulle manifestation ni émeute. Non, plutôt une manière de lassitude générale et protéiforme qui conduit à une prise de conscience collective assez joyeuse, pacifique, amusée. Tout le monde s’étonne de sa propre audace et de la facilité avec laquelle il a quitté les habitudes mortifères imposées par une société qui trouve utile de vendre du papier toilette au thé vert et de célébrer fanatiquement la valeur travail.
Pour raconter les prémices de cette grande sortie silencieuse de l’Histoire, de cette dérobade légère et buissonnière, Nathalie Peyrebonne choisit quatre personnages. Clémence conduit une rame de métro, elle a trente-sept ans, elle est blonde, mignonne et trouve que la ligne 13 commence à la fatiguer, surtout quand il fait si beau en surface. Lucien est professeur de français, il est toujours fumeur, ce qui scandalise beaucoup, il apprécie ses élèves, ce qui scandalise encore plus et il ne fait jamais de sport, ce qui fait pratiquement de lui un criminel contre l’humanité. Edmond est vigile et aime faire la cuisine : après une période japonaise, il entre dans une période Renaissance et tente une tourte aux carottes et verjus. Il y a aussi Louis, le Premier ministre. Il ne veut plus se lever, il paresse, il mange des gâteaux portugais préparés par sa cuisinière et pense à ses amours perdues. Accessoirement, il trouve que le Président est un con, hyperactif et mou à la fois.
Inutile de chercher des ressemblances, le propos de Nathalie Peyrebonne n’est pas là : ce qui arrive dans Rêve général a une valeur de fable et ses personnages sont des archétypes, ce qui n’empêche pas le lecteur de les trouver parfaitement réalistes et d’avoir l’impression de les croiser tous les jours.
Quand Céleste quitte son poste, elle prend une rue qui va vers le sud. Il faut toujours prendre des rues qui vont vers le sud. D’ailleurs, c’est comme ça qu’elle va rencontrer Lucien, qui a laissé ses élèves comme Céleste a laissé ses passagers. Edmond, pour sa part, va dans son bistrot de quartier pour comprendre ce qui se passe et pourquoi plus personne ne bosse ou ne veut bosser malgré les objurgations présidentielles à la télé. Il s’aperçoit que les clients habituels, l’ivrogne, l’artiste maudit, le promeneur de chien sont aussi atteints par ce syndrome étrange, étudiés par des experts parce que du côté de l’Elysée, l’affolement gagne : la radio et la télé ne fonctionnent plus que de façon intermittente et les gardes républicains font preuve d’une grande désinvolture dans l’exercice de leurs fonctions. Quant au premier ministre, il ne se lève toujours pas. Il est content : depuis que le téléphone ne sonne plus, ses acouphènes ont disparu.
Nathalie Peyrebonne fait une ou deux fois, au cours de Rêve général, allusion à Ferdinand Lop et à Georges Darien, deux sympathiques écrivains libertaires qui voulaient pour l’un prolonger le boulevard Saint-Michel jusqu’à la mer et pour l’autre en finir avec toutes les églises, les armées et autres autorités constituées. On aime l’idée, en 2013, qu’une jeune romancière renoue avec cette tradition aussi poétique que politique et écrive : « L’ampleur du mouvement est presque impossible à évaluer avec précision vu la pagaille qui semble régner depuis quelques jours à la Direction centrale du renseignement intérieur. Là, comme partout, les gens sont ailleurs, font autre chose. »
Le rêve, quoi. Le rêve général.
Rêve Général, Nathalie Peyrebonne (Phébus)
*Photo : Aaron Jacobs.
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